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8 novembre 1942 - 8 novembre 1992

Cinquantenaire du débarquement allié en Afrique du Nord



Voilà cinquante ans, le 8 novembre 1942, les Britanniques et les Américains débarquaient au Maroc et en Algérie. Le choix de l'Afrique du Nord comme tremplin de l'offensive alliée contre l'Europe asservie par les Nazis, montre l'importance géo-stratégique des territoires nord-africains français.

Après les atermoiements des premiers jours, l'armée française, en l'occurence l'armée d'Afrique, reprenait résolument le combat. C'est aussi toute la population nord-africaine qui rentrait en guerre : le taux de mobilisation dépassait tous les précédents et les pertes subies furent en proportion de l'engagement consenti et voulu.

En Tunisie, ce sont les troupes du général Barré renforcées par celles de la division de Constantine qui, malgré leur équipement périmé et insuffisant, durent supporter les premières attaques allemandes. C'est grâce à l'abnégation des hommes et à la détermination du commandement français que les Alliés n'ont pas reculé jusqu'aux limites du département d'Alger lorsque Rommel lança ses panzers vers Tebessa. Des mois de guerre avec leurs drames ont ainsi été économisés.

En Italie, il est incontestable que ce fut le corps expéditionnaire français rééquipé en matériel américain qui débloqua la situation devant Cassino.

En France, le débarquement sur les Côtes de Provence, de la Ve armée, constituée de divisions nord-africaines, renforcées par les Forces Françaises Libres, puis plus tard par les F.F.I. accéléra la libération de la plus grande partie du territoire métropolitain.

Les campagnes d'Alsace, puis d'Allemagne permirent à de Lattre de signer l'acte de capitulation de l'Allemagne à Berlin.

Le rôle de l'Afrique du Nord française est indéniable. Il est pourtant souvent oublié. Nous ne nions pas l'importance symbolique de la France libre et de son chef, nous respectons l'héroïsme de la Résistance, mais nous avons également le devoir d'affirmer devant l'Histoire, la part, et toute la part, de l'Afrique du Nord française dans la victoire finale.

Yves NAZ






LA VICTOIRE OUBLIÉE





Le dossier qui s'ouvre aujourd'hui à la faveur du cinquantenaire du débarquement allié au Maroc et en Algérie, le 8 novembre 1942, se refermera sur la capitulation de l'Allemagne, le 8 mai 1945.

Son but est de combler l'une des plus ingrates lacunes de l'histoire française contemporaine et de redonner à l'Afrique du Nord, son peuple et son armée, leur juste place dans la deuxième guerre mondiale, restituant ainsi à chacun la part qui lui revient dans la victoire finale.

Le dimanche 8 novembre 1942 aux premières heures, le « flambeau de la Liberté » déchirait les ténèbres, l'opération « Torch » était déclenchée. Une force de débarquement anglo-américaine de cent sept mille hommes à bord d'une armada de six cent cinquante navires déferlait comme un raz de marée sur la côte algéro-marocaine.

Le succès de cette offensive amphibie d'une ampleur sans précédent, qui tenait autant du génie tactique de ses concepteurs que du pragmatisme de ses réalisateurs, dépendait aussi pour une large part du travail de renseignement et d'action psychologique déployés conjointement sur le terrain par les émissaires alliés et la résistance locale. Une activité clandestine coordonnée entre civils et militaires des deux partis, dans les conditions draconiennes de l'armistice, tenait du prodige. Sa réussite fut à la limite des capacités humaines, amplement méritoire sinon parfaite. Tant pour ce qui concerne le délicat partage du secret et des responsabilités que dans les choix tactiques et les directives opérationnelles visant à favoriser l'accès de l'assaillant, limiter la riposte de l'assiégé, hâter l'issue des combats, réduire les pertes humaines et ménager l'effet de surprise, les préparatifs intra-muros furent dignes d'éloges.

Par un concours providentiel, le beau temps fut également de la partie, si bien qu'en ce jour faste entre tous, le mérite, l'audace et la chance se trouvèrent au rendez-vous. Face à l'opposition prévisible mais écourtée d'une armée française contrainte, aux termes de la convention d'armistice, à résister par ses propres moyens à toute agresssion, sous peine d'en appeler à l'intervention militaire de l'Axe, les troupes alliées mal aguerries mais psychologiquement préparées à leur mission de libération et dotées d'un soutien logistique incomparable allaient en trois jours, avec un minimum de pertes, renverser en leur faveur l'équilibre stratégique mondial.

L'opération « Torch », qualifiée à juste titre de « bissectrice de la guerre », ouvrait en temps nommé le second front promis par Roosevelt à Staline et dissuadait l'U.R.S.S. chancelante de conclure un armistice séparé avec l'Allemagne. En Tunisie, six mois plus tard, elle aboutissait à l'anéantissement du corps expéditionnaire germano-italien pris en tenaille à l'ouest par les troupes de débarquement, flanquées désormais de l'armée française renaissante, et par la VIIIe Armée britannique à l'est. L'Afrique du Nord entièrement libérée constituait dès lors une plateforme avancée idéale pour la poursuite des opérations décisives de Sicile, d'Italie et de Provence qui devaient précipiter la chute de Rome, porter le fer au cœur du Reich et l'acculer enfin à la capitulation sans condition.

Pour la France qui, de surcroît, réintégrait véritablement le combat aux côtés de ses alliés traditionnels par le truchement de ses troupes coloniales, le 8 novembre 1942 marquait à double titre le tournant historique de la guerre. En Algérie et au Maroc, une mobilisation poussée à l'extrême levait d'emblée soixante dix mille hommes dans un enthousiasme indescriptible.

En juillet 1943, plus de quatre cent mille européens et indigènes étaient appelés sous les drapeaux, sur un effectif total de sept cent mille combattants, armée de transition, personnel camouflé, renforts d'Afrique Occidentale Française, évadés de France et volontaires féminines compris. Les « Noraffs » (« Nord African French Forces »), ou armée Giraud, emboîtaient désormais le pas — et de quelle manière — aux « Forces Françaises Libres » (« Free French Forces »), ou armée de Gaulle, valeureuse phalange acquise à l'Appel du 18 juin, mais de portée modeste avec un effectif maximum de quinze mille hommes. Chiffres péremptoires sous le rapport des forces ! Ils attestent le rôle de détonateur joué par le débarquement allié sur les populations d'Afrique du Nord et la levée en masse de ces soldats de la revanche au moral d'airain, inlassablement nourris de patriotisme et d'espérance depuis l'armistice du 22 juin 1940. Hélas ! Qui se souvient encore des chefs de la résistance militaire que furent les généraux Weygand, Béthouart, de Monsabert, Mast, Juin, les colonels Jousse, Van Hecke, Tostain, Baril, Lorber, le commandant Dartois, le capitaine de frégate Barjot et cent autres ?

Si l'histoire a retenu les épisodes glorieux de Bir-Hakeim et de Koufra, que n'a-t-elle monté au pinacle le débarquement allié en Afrique du Nord et la cascade de victoires françaises qu'il engendra ? Et comment ne pas s'étonner, par ces temps fertiles en commémorations, de voir le cinquantenaire de l'opération « Torch » réduit en France à quelques cérémonies furtives opposant, à huis clos, un quarteron d'officiels condescendants à une poignée d'anciens combattants désabusés ? Tant de disconvenance est forcément suspecte en ce qu'elle surajoute à l'ingratitude insouciante des peuples l'amnésie impie des politiques et des médias. Pour l'expliquer, il faut remonter à la source et se souvenir que de Gaulle fut le grand oublié du 8 novembre 1942. C'est bien là que se situe le hiatus, et dans l'antagonisme déchirant né du choix américain favorable à Giraud, suivi du réveil en fanfare de l'armée d'Afrique, qu'il faut situer la genèse et la clé du divorce entre de Gaulle et l'Algérie.

Tandis qu'avec abnégation les « Africains » mettaient à exécution le mot d'ordre « Un seul but, la victoire ! », l'Homme de Londres paraît son front de leurs lauriers et bâtissait sa légende à leurs dépens. « C'est la fin du commencement », devait commenter Churchill à propos du débarquement allié en Afrique du Nord dans le cadre de la deuxième guerre mondiale. Mais pour l'Algérie française et l'Empire, n'était-ce pas déjà le commencement de la fin ?

Georges BOSC





HISTORIQUE DES EVENEMENTS DE 1940 À 1942



Après l'affaire de Mers el-Kébir, le général Weygand fut nommé délégué général du gouvernement en Afrique du Nord.

Ses pouvoirs s'étendaient à l'ensemble du territoire nord-africain et à l'époque les journaux algérois n'hésitaient pas à le parer du pompeux titre romain de proconsul. Sa devise : « Défendre l'Afrique contre quiconque. »

Des Allemands qui craignaient une dissidence de l'Afrique du Nord à l'image de l'AEF ou sur le modèle de la tentative avortée du général de Gaulle à Dakar, le général Weygand obtint de mettre sur pied une force de 137 000 hommes et de 400 avions, aidé en cela par les généraux Koeltz, Juin et de Lattre. Il mit en œuvre, secrètement, les moyens d'une éventuelle mobilisation, qui firent leur preuve pour la campagne de Tunisie (1942-1943).

En plus des 137 000 hommes autorisés, quelque 60 000 furent recrutés et maintenus en secret sous les drapeaux, parmi lesquels plusieurs milliers de goumiers marocains cachés dans les montagnes par le colonel Guillaume. Le plan de mobilisation conçu par le capitaine Pénette prévoyait le rappel de 100 000 hommes et une réquisition d'animaux, de véhicules de transport et d'approvisionnement.

De leur côté les Allemands entreprenaient une propagande subversive anti-française auprès des populations indigènes des deux protectorats. Cette propagande échoua au Maroc mais elle porta ses fruits en Tunisie par l'émergence du parti du Destour et l'accession au trône de la Régence du nouveau bey, Moncef. En même temps les Allemands augmentaient leurs exigences de fournitures sur le sol africain et Vichy concéda, au titre de la convention d'armistice, aux Italiens combattant en Libye des céréales et des denrées alimentaires.

Ce fut un premier froissement avec les Américains.

Le 21 décembre 1940, le général Weygand rencontrait Robert Murphy, consul des États-Unis à Alger. Après de laborieuses négociations il signait avec ce dernier un mémorandum par lequel le gouvernement américain se proposait dans une certaine mesure de faciliter le ravitaillement de l'AFN soumise au blocus anglais, en essence, cotonnades, sucre, charbon, blé, comme le faisait du reste en France la Croix rouge américaine, avec cependant la réserve que ce ravitaillement servirait uniquement sur place aux populations et ne serait pas livré aux Allemands ou aux Italiens. Les Américains en assuraient d'ailleurs discrètement la répartition. Cette distribution concerna plus le Maroc que l'Algérie pour des raisons politiques (26 février 1941).

En mai 1941, l'amiral Darlan, chef du gouvernement de Vichy, second du maréchal Pétain après l'éviction de Laval du gouvernement, signe à Paris avec le général allemand Warlimont des accords renforçant la collaboration et ouvrant le port de Dakar aux sous-marins allemands et le port militaire de Bizerte aux troupes de l'Afrika Korps venant renforcer les divisions italiennes malmenées en Cyrénaïque par les Anglais, contre un hypothétique allégement de l'impôt de guerre, le retour de certaines catégories de prisonniers et des compensations aléatoires.

Le 6 juin 1941, le général Weygand s'oppose fermement, auprès du maréchal Pétain, à cette politique qui remet en cause ses accords avec R. Murphy. Il est alors relevé de son commandement le 18 novembre 1941 et interdit de retour en Afrique du Nord.

Vichy reprit l'administration directe de l'Afrique du Nord sur le modèle de sa politique collaborationniste avec l'Allemagne, mais n'entérina pas immédiatement les accords de l'amiral Darlan à Paris.

En dehors du fait qu'elle avait pris acte d'une volonté courageuse française de continuer la lutte en Afrique du Nord, ce qui avait impressionné le président Roosevelt, la politique américaine, méfiante à l'égard de Vichy, s'était déjà émue montrant dès 1940, que sa préoccupation était de deux ordres :

— la neutralisation de la flotte française et sa non-participation à des actes d'hostilité envers la Grande-Bretagne, en faveur de l'Allemagne,

— l'entretien de bonnes relations avec le gouvernement de Vichy, plus particulièrement avec le maréchal Pétain qui tient la promesse de ne pas livrer la flotte. (Instructions du président F. D. Roosevelt à l'amiral Leahy, ambassadeur des États-Unis auprès de Vichy. 20 déc. 1940).

Puis plus tard : « En collaboration avec le gouvernement français, nous avons pris des mesures pour le maintien de la stabilité économique dans les territoires français de l'Afrique du Nord, en accordant des facilités pour le développement du commerce et l'achat aux États-Unis de produits de première nécessité pour la population de l'Afrique du Nord, dans le but de maintenir leur statut antérieur comme partie intégrante de l'Empire français. » (Déclaration faite par le secrétaire d'État Cordell Hull. Conférence de presse du 5 juin 1941).

Les accords de l'amiral Darlan avec les Allemands rendaient caduc le mémorandum signé entre le général Weygand et R. Murphy. L'aide américaine à l'Afrique du Nord cessa.

« Dès 1940, bien avant que l'Amérique ne fût en guerre, le Président Roosevelt avait commencé à préparer, par des voies politiques un débarquement éventuel en Afrique du Nord. Attaquer de front la côte normande était alors difficile. » (La répétition de Dieppe le démontra) « L'Algérie et la Tunisie semblaient les plates-formes de départ les mieux placées pour le premier temps de reconquête de l'Europe. Des consuls américains maintenus là pour ce travail, s'y étaient assurés des concours français. En 1942, le général Eisenhower fut chargé d'organiser une expédition. Elle réussit.» (André Maurois)... C'est là hâtivement résumer l'Histoire !

On voit, d'après cette carte, le rôle capital qu'a joué l'Afrique dans la stratégie des Alliés. L'ennemi, qui avait reçu d'importants renforts de Sicile, repoussa les premières attaques alliées en direction de Tunis et de Bizerte. Mais, pris en tenaille par la VIIIe Armée britannique venue de l'est et les troupes de débarquement anglo-américaines, renforcées par l'Armée française d'Afrique venues de l'ouest, il était écrasé en Tunisie six mois plus tard.

Le 7 décembre 1941, les États-Unis entrent en guerre et le conflit devient effectivement planétaire.

A Vichy, on pressentait une opération sur l'Afrique du Nord dans un but stratégique: « Depuis l'entrée en guerre des États-Unis, Pétain, Weygand, Darlan, Juin ont envisagé un débarquement américain en Afrique du Nord, mais ils s'accordent à ne rien entreprendre tant que des forces suffisantes n'auront pas été préparées. De là le mot de Darlan : « Si les Américains viennent avec une division, je les fous à l'eau, s'ils viennent avec vingt divisions, je les embrasse ! » C'est qu'il sait qu'en quarante-huit heures l'Allemagne peut réoccuper la zone libre et en quatre jours s'installer en Tunisie. Vichy ne veut pas exposer les Français à de nouveaux malheurs si le débarquement échoue ou s'il ne s'accompagne pas d'un débarquement en France...

Pétain estime que l'Amérique ne sera pas prête avant 1943 pour une action d'envergure. » (R. Rieunier)



Préparation « tactique » du débarquement du 8 novembre 1942

Le débarquement en Afrique du Nord a été secrètement décidé en juillet 1942 entre le président Roosevelt et le premier Ministre britannique W. Churchill.

Du côté des Français libres de Londres, c'est l'ignorance officielle. Du côté de Vichy, les choses seraient plus nuancées. En septembre, l'amiral Darlan aurait proposé à M. Murphy l'appui de la France en cas d'une opération américaine. Début octobre, le général Juin aurait renouvelé l'offre d'une participation de l'armée d'Afrique si un débarquement était décidé... R. Murphy aurait répondu qu'il n'en était pas question et que les Etats-Unis n'interviendraient en Afrique « qu'à la demande expresse de Vichy. » (R. Rieunier) Si ces faits sont exacts, on voit déjà se tisser la trame de ce qu'on appelera plus tard « l'imbroglio d'Alger » ou le triomphe du « double jeu ».

A son origine l'opération « Torch » (d'abord dénommée « Gymnast ») était loin de correspondre à une action de grande envergure contre le sud de l'Europe. Elle le deviendra certes, mais dans l'immédiat elle répondait à des nécessités de soutien militaire et de politique interne.

Le projet d'Afrique Nord-Ouest proposé par Churchill au président Roosevelt sous le nom de « Gymnast » puis de « Super Gymnast » destiné « à boucler et resserrer l'encerclement de l'Allemagne était subordonné à un succès décisif de la VIIIe armée britannique en Cyrénaïque et à l'accord des Français, sur invitation de ces derniers. » (Conférence d'Arcadie. Noël 1941)

Le président Roosevelt était partisan du projet, mais son état-major était plus réticent. Il penchait pour un débarquement dans le Cotentin, que les Anglais refusaient s'estimant insuffisamment préparés. C'est la pression des événements et la promesse faite au maréchal Staline d'ouvrir un second front, qui firent revenir Roosevelt et Churchill au projet « Gymnast ».

L'État-major américain (général Marshall et amiral King) était partisan de prendre une attitude défensive face à l'Allemagne, donc de ne rien tenter, et de tourner tous les efforts vers la lutte contre le Japon, dans le Pacifique, doutant des possibilités américaines à mener un combat sur deux fronts.

Les Anglais songeaient à Suez et les Américains aux îles Hawaï... Ce fut le président Roosevelt qui trancha. Encore s'opposait-il à Churchill qui insistait pour que l'opération se déroulât en Méditerranée, alors que le président Roosevelt la limitait au Maroc.

Les Anglais désiraient aller le plus loin possible pour occuper Bône, puis Bizerte et Tunis, et prendre l'Afrika Korps à revers. « Tout devait être occupé 26 jours après le passage de Gibraltar par la flotte, et de préférence 14 jours après. »... On discuta en voulant arrêter l'opération à Oran, puis les Anglais insistant pour Alger, on se partagea la besogne : les Américains sur Casablanca et Oran, les Anglais sur Alger. Le 3 septembre 1941, le président Roosevelt se décida pour Alger après la démonstration de Churchill. «...Il semble qu'Alger doive être occupée simultanément avec Casablanca et Oran. C'est l'endroit le plus amical et sur lequel on peut fonder le plus d'espoir. Sa réaction politique serait décisive au plus haut point d'un bout à l'autre de l'Afrique du Nord. Renoncer à Alger pour un débarquement problématique à Casablanca me semble être une décision très grave... » (Liddell Hart)

En résumé, l'opération « Torch » apparaissait aux yeux des Américains axés sur un débarquement en Manche comme un expédient destiné à soulager les Anglais aux prises avec le maréchal Rommel qui était entré en Egypte et menaçait Alexandrie et Suez ; à soulager aussi les troupes soviétiques acculées au Caucase.Le tableau était sombre. Dans l'Atlantique, comme en Méditerranée dans le détroit de Sicile, les convois maritimes étaient mis à rude épreuve du fait, d'un côté des sous-marins et de l'autre de l'aviation ennemis. En 1941-42, 500 000 tonneaux de bateaux ravitailleurs sont coulés en moyenne chaque mois ; ce qui a déterminé les Américains, avant leur entrée en guerre, de couler tout sous-marin allemand repéré. (Sim Copans).

Dans le Pacifique, enfin, les Japonais progressaient dans toutes les colonies anglaises et hollandaises, après avoir occupé l'Indochine. Ils s'approchaient de l'Inde et jusqu'au 7 juin 1942, date de la bataille aéronavale de Midway qui marque l'arrêt de leur progression, ils avaient eu l'initiative sur mer, sur terre et dans les airs... Il convenait donc temporairement de relever le moral américain entamé par ces victoires éclairs des Japonais, attaquer le maréchal Rommel sur deux fronts et attirer en Italie des divisions allemandes prélevées sur le front russe... Lourde tâche !... Mais nous disons bien « temporairement », car pendant ces onze premiers mois de guerre pour les États-Unis (décembre 1941-novembre 1942) l'industrie américaine a produit 32 000 chars, 49 000 avions, 8 200 000 tonnes de vaisseaux marchands..., et elle se disposait à dépasser largement cette production en 1943, méritant amplement en cela son appellation « d'arsenal des démocraties ». Elle aidait la Grande-Bretagne, la Chine et l'URSS. L'agriculture n'était pas en reste ; elle faisait des miracles et en quinze mois, elle livra sept milliards de livres de nourriture aux Alliés.

« Enfin, l'armée et la marine américaines, après s'être réorganisées, parvenaient aux plus hauts degrés de la science militaire et de la puissance. » (A. Maurois)

Libérés de leur neutralité active ainsi que d'une opinion publique divisée sur la nature des conflits européens, désireuse de méconnaître les philosophies embarrassantes les sous-tendant, qui sortaient progressivement de son isolationnisme, les États-Unis avaient abandonné la hautaine formule du « cash and carry » de 1940 pour celle plus adaptée de la « loi prêt-bail » consentie à l'Angleterre en guerre ; Ils étaient partie prenante, construisaient « une marine pour deux océans », s'armaient et armaient les autres, mais aussi entraient dans les combats...

Ce qui fit chanter Pierre Dac, à Londres, sur l'air de « A la Martinique... » :

Avec l'Amérique, l'Amérique, lAmérique C'est ça qu'est chic, (bis) Non seul'ment nous envoie des armements, Mais encore nous envoie ses enfants !...

L'intense imploration du 10 juin 1940 du président Paul Reynaud au président Roosevelt était dépassée.

Cependant, entre juin 1942 et novembre 1942 la situation militaire a favorablement évolué, en raison justement de cet effort industriel sans pareil et, d'expédient, l'opération « Torch » se mue en véritable offensive.

Le 8 novembre 1942, l'attaque anglaise d'El-Alamein est en cours depuis le 23 octobre et les lignes italo-allemandes ont été percées le 2 novembre par la VIIIe armée du général Montgomery. A Stalingrad, la Vie armée allemande s'enlise, les pénétrations dans le Caucase sont stoppées.

C'est l'époque des combats de Guadalcanal et de Nouvelle-Guinée qui marquent le retour offensif des Américains dans le Pacifique, après Midway...

René Bérard



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22 OCTOBRE 1942 : L'ENTREVUE DE CHERCHELL,
PRÉLUDE À L'OPÉRATION TORCH



En 1939, comme elle l'avait déjà fait en 1914, la population algérienne s'était associée, sans réticences, à l'effort de guerre français. Aussi, au moment de l'armistice de juin 1940, le désir était fort, dans tout le pays, de poursuivre la lutte armée.

Cependant, la grande majorité des Algériens s'était ralliée, sans difficultés, au gouvernement du maréchal Pétain. Et peu à peu, au fil du temps, son état d'esprit se modifia, son antibritannisme latent s'exprimant assez ouvertement, surtout après le douloureux épisode de Mers el-Kébir, et ce sentiment de rejet s'étendit, dans une certaine mesure, aux gaullistes de Londres.

Le coup de force de ceux-ci sur Dakar, en septembre 1940, incita le gouvernement de Vichy qui craignait le développement de tentatives de dissidence en Afrique du Nord, à déléguer un chef sûr pour coiffer ces territoires. Ce fut le général Weygand. Disposant de pouvoirs étendus, l'ancien adjoint du maréchal Foch entreprit alors un travail souterrain qui préparera l'œuvre future de libération. Profitant habilement des craintes vichystes et allemandes de voir se renouveler, en Afrique du Nord, la tentative gaulliste de Dakar, il s'ingénia à reconstituer l'armée d'Afrique.

Sa formule, en acceptant la mission qui lui était confiée, se résumait ainsi : - Défendre l'Afrique du Nord contre quiconque ! - et, en avril 1941, il obtenait l'autorisation de mettre sur pied une force de 120 000 hommes. Ainsi, aidé dans sa tâche par ses adjoints, les généraux Juin, de Lattre et Koeltz, pourra-t-il favoriser la préparation clandestine d'une éventuelle mobilisation.

Réussie, celle-ci constituera plus tard un des facteurs essentiels du succès de la campagne de Tunisie. Mais Weygand s'étant fermement opposé aux Protocoles de Paris qui devaient livrer Bizerte aux Allemands, base de transit pour l'acheminement de leur matériel de guerre vers la Tripolitainc, sa résistance fit échouer ces accords. Cette attitude lui valut d'être rappelé en France le 20 novembre 1941 et d'être pratiquement mis à la retraite.

Son séjour en terre algérienne lui avait cependant permis d'entrer en relations avec des représentants des Etats-Unis, sous couvert de promouvoir avec ce pays, alors neutre, un traité économique susceptible de pallier la disette des populations d'Afrique du Nord, pénurie provoquée par la livraison en masse de produits et denrées aux alliés de l'Axe au titre de l'armistice de juin 1940.

Cet accord économique sera la première pièce d'un appareil qui ouvrira les portes de l'Afrique du Nord aux Américains. Car au contact de ceux-ci, un mouvement de résistance vu se développer, en Algérie surtout, animé par quelques personnalités militaires hostiles à Vichy comme aux Allemands. Vinrent s'agréger peu à peu, à ce mouvement, un certain nombre de patriotes dont l'industriel Lemaigre-Dubreuil. Multipliant les rapports avec les Américains, sous prétextes économiques, ce groupe de résistants va contribuer à la préparation du débarquement allié de novembre 1942. En effet, depuis le mois de juillet de cette année-là, les alliés avaient décidé de contre-attaquer en Méditerranée où la tenaille de l'Axe menaçait de se refermer. Ce sera - l'opération Torch -, projetée dans le secret le plus total, le général de Gaulle lui-même, à Londres, ignorant tout de ce qui se tramait.



L'ARMÉE FRANÇAISE D'A.F.N.

Les troupes françaises en Afrique du Nord avaient pour mission de s'oppo­ser par la force à toute tentative d'inva­sion faite par une armée étrangère.

Les effectifs immédiatement utili­sables comprenaient 53 000 hommes en Algérie, 50 000 au Maroc et 14 000 en Tunisie, soit, au total : 117 000 hommes. Les renforts porteraient ces effectifs, le cinquième ou sixième jour après l'alerte, à 105 000 hommes en Algérie, 55 000 au Maroc et 25 000 en Tunisie, soit au total : 185 000 hommes. A ces chiffres s'ajouteraient les goums du Maroc et les formations de défense des places — Service d'ordre légionnaire (S.O.L.) : 5 000 hommes à Alger, 4 500 en Oranie et 1 600 dans le Constantinois.

L'armée de terre comprenait égale­ment trois groupements blindés de 45 chars D-1 ou H-35 chacun, à Alger, Oran et au Maroc.

L'aviation comptait plus de 500 avions dans les trois territoires.

Enfin, la marine disposait d'une force navale importante à Casablanca : un croiseur, plusieurs contre-torpilleurs ou torpilleurs, plusieurs sous-marins et un cuirassé inachevé, le Jean-Bart, uti­lisé comme batterie fixe avec sa tourel­le de 4 pièces de 380 ; une flotille en Algérie : torpilleur et sous-marins à Oran, sous-marins à Alger, et une escadre légère à Bizerte : douze navires, torpilleurs ou sous-marins. De plus, la défense du Maroc pouvait être renforcée par l'intervention de la force navale de Dakar : le cuirassé Richelieu, de 35 000 tonnes, armé de canons de 380 (immobilisé dans le port africain depuis le 8 juillet 1940) et ses navires d'escorte. Enfin, la défense des côtes était assurée par de nombreuses batteries, armées de canons de fort calibre et servies par la marine.





Le 10 octobre 1942, retour de Washington, le consul américain Robert Murphy, cheville ouvrière des tractations avec les résistants français, annonçait au - Groupe des Cinq - la décision d'intervention militaire de son pays en Afrique du Nord. Cette opération devait se dérouler avant la fin de l'année, mettre en jeu 500 000 hommes, 2 000 avions et une flotte considérable (1). Ce débarquement étant très proche, il convenait alors d'organiser une entrevue avec le haut commandement américain en vue de régler l'aide française à - l'opération Torch -.

Pour cette rencontre, d'Astier de la Vigerie et Jean Rigault proposèrent un point de la côte algérienne qui se prêtait admirablement à ce genre de rendez-vous : la ferme de Messelmoun, située près de l'oued du même nom, a dix-sept kilomètres de Cherchell (2). L'endroit semblait prédestiné : il avait autrefois servi d'entrepôt de marchandises de contrebande. La mer bordait la propriété sur quatre kilomètres et un petit bois de pins rendait la plage invisible de la route qui passait à proximité.

Après échange de câbles avec Washington et Londres où se trouvait le général Eisenhower, un rendez-vous fut fixé sur le point proposé, à 55 milles marins environ a l'ouest d'Alger. La délégation américaine y débarquerait d'un sous-marin, dans la nuit du 21 au 22 octobre, et elle devait comprendre un officier général accompagné de plusieurs officiers au courant des détails de - l'opération Torch -(3)

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(1). Dans la réalité, le 8 novembre 1942, les effectifs humains ne dépasseront jamais les 100 000 combattants, en fait, les moyens alliés se révélèrent notablement inférieurs à ceux annoncés à Cherchell.
(2) Les conjurés d'Alger, qui n'osaient croire à la réalité d'un débarquement allié en Afrique du Nord, pensaient avoir obtenu une promesse de livraisons d'armes légères pour les besoins des Chantiers de Jeunesse que le commissaire Van Hecke se proposait d'utiliser et qui, plus tard, devaient servir aux groupes de volontaires civils chargés des opérations. Au mois de juillet précédent, recherchant un endroit discret pour réceptionner ces armes qui devaient être amenées par sous-marin depuis Gibraltar, d'Astier et Rigault avaient découvert ce point de la cote cherchelloise qui allait recevoir une destination différente.
(3). Le major-général Clurk était l'adjoint direct du général Eisenhower à Londres, ce qui démontre l'intérêt porté par les Alliés à cette réunion.



Messelmoun



La ferme de Messelmoun appartient à M. Sitgès. Elle est habitée par M. Jacques Tessier, membre des groupes civils d'Alger. Un de ses amis, M. Queyrat, avocat à Cherchell, est en relations suivies avec deux officiers de Douairs chargés de la surveillance des 50 kilomètres de côte a l'ouest de Cherchcll, le lieutenant Le Nen et l'aspirant Michel. Les deux officiers des gardes-côte, sympathisants du mouvement, doivent assurer le guet et la sécurité rapprochée de la ferme dès la mise à terre de la délégation américaine.





Au soir du 21 octobre, pur une nuit calme et paisible, les conjurés d'Alger parviennent à Cherchell où les accueille M. Queyrat. Des voitures débarquent le colonel Jousse, d'Astier de la Vigerie, Rigault, le consul américain Murphy et le vice-consul Knight. Le général Mast, délégué du général Giraud, ne doit venir que le lendemain matin, accompagné par le commissaire régional Van Hecke, des Chantiers de jeunesse, du commandant Dartois, de l'armée de l'air et du capitaine de frégate Barjot (4).

A onze heures, les conjurés prennent possession de la ferme dont tous les habitants ordinaires ont été éloignés, M. Tessier ayant accordé congé à tout son personnel. On s'assure que tous les bâtiments sont bien désertés, puis chacun va à tour de rôle prendre faction sur la plage. Dès que le sous-marin sera signalé, vers minuit selon les arrangements conclus, on allumera une grosse ampoule électrique à l'intérieur d'une mansarde située au dernier étage de la villa et dont la fenêtre à tabatière ouvre sur le large. Visible seulement de la mer, cette lumière blanche fera office de phare-signal.

C'est une belle nuit claire dont la faible lueur argenté la crête des vagues paisibles.

Mais l'attente inquiète dure. Une heure passe, puis deux, puis trois. A mesure que le temps s'égrène, les veilleurs se font plus rares sur la plage maintenant nimbée de la blanche lumière lunaire. A quatre heures du matin, le veilleur de quart appelle d'une voix excitée. Les autres qui devisaient à voix basse là-haut, tout en buvant du café, accourent en hâte. Ils croient apercevoir confusément une masse noire se faufilant entre les vagues mais, avant qu'ils n'aient pu l'identifier, l'apparition s'est évanouie et, une heure plus tard, les premières lueurs de l'aube apparaissent. Il faut alors admettre que, pour cette fois, c'est manqué. Un dépit muet envahit tous les conjurés ; le consul Murphy est, lui, très soucieux.

Sur la route du retour vers Alger, à six heures du matin, ils croisent la voiture du général Mast et de Van Hecke, en civil, sans pouvoir les prévenir du contre-ordre, les deux véhicules roulant à grande vitesse et en sens inverse.

De retour en ville, Murphy se met en communication avec Gibraltar (5) et, dans l'après-midi, il obtient des explications : le submersible était bien arrivé au lieu du rendez-vous mais à quatre heures du matin et le général Clark, craignant d'être surpris par le jour en cas d'erreur ou d'alerte, a jugé plus prudent de remettre la rencontre à la nuit suivante. Immergé à 1 500 mètres de la côte, le sous-marin restait sur place, attendant le retour de l'obscurité. Le rendez-vous était donc reporté au soir-même(6).

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(4). Parallèlement aux Américains, à Messelmoun, les Français présenteront le même nombre d'officiers, homologues de leurs interlocuteurs.
(5) Partie d'Angleterre, la délégation américaine avait atterri à Gibraltar où un centre directeur de l'opération avait été mis en place.
(6). Ce retard apporté au rendez-vous aurait pu avoir des conséquences graves, comme le prouvera l'incident de la perquisition policière annoncée.



Le temps de joindre tous les conjurés dispersés au gré de leurs occupations et, déjà, il fait nuit. Pourtant, tour de force, tous rejoindront Messelmoun à l'heure, ayant refait avec le maximum de célérité les 120 kilomètres qui séparent Alger du lieu de rendez-vous.

A la ferme, l'exode renouvelé de la famille Tessier, comme le second congé que le maître de céans doit donner précipitamment à son personnel, provoque surprise et commentaires. Il faut même sortir de leur lit quelques ouvriers qui se sont déjà couchés en prévision des fatigues du lendemain. Un pauvre cheikh qui ne sait où aller dormir à cette heure tardive s'entête à rester et il faut le pousser par les épaules pour le faire déguerpir !

L'attente recommence dans la maison vidée de tous ses hôtes ordinaires. Attente quelque peu inquiète. Viendront-ils enfin ? A minuit, on allume l'ampoule de la mansarde dont la lumière, blanche et fixe, doit aider à l'identification précise du point de rendez-vous par les Américains.



Ils arrivent enfin !

Un quart d'heure après minuit, Rigault remonte de la plage en courant : - Les voilà ! - Les officiers se précipitent sur leurs valises, car Ils sont arrivés en civil, par discrétion, mais le consul Murphy a insisté pour qu'ils soient revêtus de leurs uniformes à l'arrivée de la délégation américaine. Bientôt alignés sur la plage, ils peuvent voir la masse noire du submersible qui a stoppé à environ une centaine de mètres de là, quille raclant le fond. Un frêle esquif pointe déjà vers eux et vient s'échouer à leurs pieds, sans bruit, sur les galets. S'en extraient trois gaillards vêtus de cuir sombre dont le premier leur adresse la parole en un français châtié démuni du moindre accent. C'est le colonel américain Holmes (7). Le suivent un Britannique, le capitaine Livingstone et un autre Américain, le capitaine de vaisseau Wright.

Les présentations sont faites par Murphy, dans une atmosphère conspiratrice mais non dénuée de cordialité. Sans tarder, Livingstone signale au sous-marin, par rayons infra-rouges, que tout c'est bien passé. Un second canot aborde peu après. S'en extraient trois malabars, eux aussi revêtus de cuir sombre, munis d'un attirail d'armes et d'engins sophistiqués. Ce sont deux Anglais et un Américain : les premiers sont le capitaine Courtney et le lieutenant Foote qui appartiennent, avec le capitaine Livingstone, aux commandos des missions spéciales qui doivent assurer la sécurité et le retour à bord de la délégation ; le troisième est le colonel Ilamblen, de IXI .S. Army.

Déjà une radio grésille auprès d'un buisson, antenne jetée dans les branches. Après quelques minutes d'essai, elle entre en communication avec le submersible. Aborde enfin le troisième et dernier canot (8) qui ne contient que deux occupants dont l'un est d'une taille exceptionnelle. Le major-général Clark et le brigadier-général Lemnitzer mettent pied à terre. Nouvelles présentations. Entre-temps, le sous-marin, prévenu, s'éloigne. Il croisera jusqu'au matin à proximité du rivage, l'observant à vue et, dans la journée, il refera plongée à plusieurs milles de distance, continuant de guetter au périscope.



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(7). Son français sans accent avait fait désigner le colonel Holmes comme éclaireur pour le cas où il dût, à l'accostage, expliquer qu'il était là par hasard, s'étant égaré au cours d'une promenade.
(8). Le sous-marin britannique possédait quatre canots pliables, en toile, qui nécessitaient un certain entraînement dans leur utilisation, ayant une propension certaine à chavirer. Tous les officiers de la délégation s'initièrent à la manœuvre d'embarquement, de nuit, alors que le Seraph avait stoppé en pleine mer. Mais le 22, l'une des embarcations ayant chaviré, la houle la poussa sous le gouvernail de plongée du submersible où elle y brisa ses frêles membrures.



Tout le monde remonte vers la villa par le raidillon qui serpente dans le bois de pins sombre. Les embarcations rangées dans la cour, le groupe entre dans la maison où, à la lumière électrique, on peut faire plus ample connaissance. Le général Clark surtout retient l'attention des Français avec son mètre quatre-vingt-quinze, sa longue face osseuse trouée par deux yeux noirs et perçants et la carabine automatique à quinze coups qu'il porte à l'épaule. Après un long moment de conversation générale à bâtons rompus, les invités, assez fatigués par leur séjour prolongé dans l'atmosphère confinée du sous-marin, vont se coucher au premier étage. Des Français, seul le colonel Jousse dispose d'une chambre et d'un lit ; les autres termineront la nuit dans des fauteuils, devisant à mi-voix et buvant le café dont Bernard Karsenty — des groupes civils d'Alger — a préparé des litres à la cuisine.

A sept heures tout le monde est sur pied. Dehors, la journée s'annonce radieuse. La mer est calme, vide, à peine murmurante.

A huit heures arrivent le général Mast et le commissaire Van Hecke accompagnés du capitaine de frégate Barjot et du commandant aviateur Dartois. Le général Clark apparaît bientôt dans le petit salon où l'attend le général Mast. En anglais passable, ce dernier souhaite la bienvenue en Afrique du Nord à l'Américain et lui présente ses adjoints. Sans tarder la conférence débute, les deux généraux et le consul Murphy réunis autour d'une petite table tandis que les officiers français se groupent dans une autre pièce avec leurs homologues américains. Immédiatement, les deux groupes procèdent à L'échange des renseignements utiles à l'opération alliée. Les conversations se déroulent en anglais dans le petit salon, traduites par Murphy, en français dans l'autre pièce avec pour traducteur le colonel Holmes.

Dehors, MM. Tessier et Queyrat ainsi que les trois officiers anglais assurent la protection de la ferme. A la cuisine, Bernard Karsenty s'affaire à préparer le déjeuner pour tous ces convives.



Les débats se poursuivent

La conférence avait été divisée en deux parties. Le général Mast devant rejoindre l'après-midi même Alger où l'attendent différentes affaires de service à l'état-major de la division, la matinée sera consacrée aux questions générales : thème et date de l'opération, problème du commandement ; l'après-midi aux échanges de renseignements et aux questions techniques.

Dans le petit salon, le général Clark ouvre la séance par un rapide examen de la situation et expose les motifs qui décident les Etats-Unis à intervenir en Afrique du Nord. Ils désirent, dès l'hiver tout proche, régler le sort de la Méditerranée par l'offensive conjointe des Britanniques à travers la Libye et eux-mêmes à travers l'Afrique française ; s'assurer à Dakar le relais nécessaire pour l'établissement d'une ligne de communication entre l'Amérique et l'Egypte. Ils veulent, en même temps, préparer la plate-forme indispensable pour la création d'un second front européen au printemps. Ils tiennent à précéder en Afrique du Nord une initiative de l'Axe qu'ils craignent prochaine, car les services de renseignements alliés signalent le renforcement des effectifs ennemis et des concentrations d'aviation en Italie du Sud. Enfin, le développement de l'offensive britannique en Tripolitaine peut amener les Allemands à s'installer en Tunisie et l'intervention américaine, du même coup, rendrait impossible leur intrusion au Maroc espagnol. A ces impératifs militaires s'en ajoutent d'autres, d'ordre extérieur et d'ordre intérieur. Pour toutes ces raisons, l'état-major américain désire aller vite.

Pour terminer, le général Clark indique que l'état-major interallié a rassemblé pour l'expédition des forces considérables. Dans ces conditions, le succès paraît assuré.

La discussion s'engage. Tout l'effort porte d'abord sur le point essentiel : Alger. Les Français énu-mèrent aux Américains les dispositions prises par eux pour neutraliser le haut commandement et assurer la prise de la ville sans combat. Le général Clark écoute tandis que le général Lemnitzer prend des notes.

L'accord est enfin conclu : le corps expéditionnaire se présentera devant Alger en même temps que devant Oran et Casablanca. Un point reste cependant à éclaircir : la date du débarquement allié. Sans précisément rien affirmer, le général Clark laisse entendre qu'elle se situerait entre le 20 et le 25 novembre. Une autre question importante figurera au programme de la matinée : l'organisation du commandement interallié, problème épineux pour lequel les Américains accouchent d'une formule assez vague qui ne les compromet guère.

Vers une heure de l'après-midi, la première conférence ayant duré cinq heures, le général Mast, sur le point de regagner Alger, reçoit tous les autres membres des deux délégations auxquels il fait un bref - amphi - sur la tactique à suivre pour s'emparer d'Alger.

Le général français parti avec Rigault, tous les participants à la conférence, conjurés, officiers français et alliés, prennent un moment le soleil dans la cour intérieure de la ferme qu'ils ne doivent quitter sous aucun prétexte, car, partout ailleurs, ils risquent d'être vus de la grand'route, alors que nombre d'entre eux sont en uniforme. Un déjeuner à l'algérienne, excellent bien qu'improvisé par Bernard Karsenty, réunit tout le monde autour d'une table, les bons vins de la propriété aidant à développer une ambiance euphorique et cordiale.

L'après-midi, les débats se poursuivent. Les détails militaires de l'opération sont fixés : coopération française, liaisons et relève américaine. Tout est examiné : points de débarquement, objectifs, itinéraires, signes de reconnaissance, tout ce qui doit éviter aux Alliés pertes d'hommes, de temps ou de matériel.

Vers six heures la conférence touche a sa fin lorsqu'un appel téléphonique de l'aspirant Michel vient troubler l'atmosphère de la réunion. En effet, vers 16 heures 30, l'aspirant chargé de la sécurité a rencontré, près de Gouraya, le commissaire de police de Cherchell. Faisant état de la dénonciation d'un ouvirer indigène de Messelmoun et flairant une affaire de contrebande, le policier lui a fait part de son intention d'aller perquisitionner sur les lieux. L'aspirant a apaisé le commissaire et proposé d'aller lui-même, sur-le-champ, mener une enquête. Le policier s'est laissé convaincre mais, pour plus de sécurité, Michel a mis en panne la voiture et crevé les pneus de l'unique motocyclette du poste de police avant d'appeler les conjurés. Il précise qu'il n'y a aucune menace immédiate. Néanmoins, il vaut mieux vider les lieux.

A Messelmoun c'est un peu l'affolement général. Les officiers français enlèvent leurs uniformes, revêtent leurs vêtements civils et embarquent dans les voitures de Queyrat et d'Astier qui prennent aussitôt la direction d'Alger. Pendant ce temps, les huit officiers alliés sont dirigés vers les grandes caves-silos où on les dissimule, avec les canots, derrière une véritable muraille de fagots secs.

Finalement la police ne se présente pas et l'aspirant Michel, venu rendre compte à la ferme des intentions du commissaire, est reparti pour Cherchell afin d'aviser celui-ci que deux diplomates américains, MM. Murphy et Knight, se trouvent effectivement a Messelmoun, en partie fine avec des dames venues d'Alger et déjà passablement ivres. Il lui signale la présence à la ferme du lieutenant Le Nen qui assure, en quelque sorte, la surveillance de cette orgie. Indication qui rassure définitivement le policier, l'incitant à renoncer à la perquisition projetée.

A la ferme, le consul Murphy et son adjoint Knight se tiennent prêts à jouer le rôle d'hommes surpris au cours d'une partie fine copieusement arrosée. Quelqu'un ayant trouvé un tube de rouge à lèvres, on en enduit le bout de quelques cigarettes abandonnées dans des cendriers pour parfaire la mise en scène. Tout cela ne servira heureusement à rien. Au bout d'une heure, on tire les officiers alliés de leur cache d'où ils sortent quelque peu poudreux et froissés, dans leurs uniformes et dans leur amour-propre.

Les derniers protagonistes de cette mémorable journée n'étaient pourtant pas au bout de leurs peines.



Un embarquement mouvementé

La veille, la mer était calme mais ce soir la houle s'est déchaînée. Le vent s'est levé du large, la mer présente des creux de près d'un mètre et forme, sur la plage, de gros rouleaux qui viennent briser sur le sable.

Vers neuf heures, la nuit étant venue, les officiers alliés tentent de regagner le sous-marin auquel la radio a demandé de s'approcher le plus possible du rivage. Mais les canots, trop légers, ne peuvent franchir les rouleaux. Ils chavirent à chaque tentative, contraignant leurs occupants à regagner la rive à la nage. Alors, on imagine d'aller déposer une embarcation, en la maintenant au-dessus de l'eau, dans le creux ménagé entre le premier et le second rouleau. Trois hommes se déshabillent et portent le canot contenant le colonel Holmes avec des bagages arrimés autour de lui. La première vague est aisément passée mais à la deuxième, décrit Karsenty, - le kayak sauta en l'air et revint sur la plage tellement vite que nous avons été retournés sous l'eau avec lui plusieurs fois avant d'atterrir ! -



Plaque commémorative de l'entrevue de Cherchel

(plaque commémorative de l'entrevue Cherchell)



La manœuvre est renouvelée trois fois, trois fois le flot ramène l'esquif comme un boomerang.

Complètement trempés, tous les acteurs de cette soirée - douchante - reviennent à la ferme pour y attendre une accalmie. On remet les canots de toile a l'abri, les officiers des Douairs toujours de garde dans les environs, le sous-marin au large et tous les participants a table. Mais la police de Cherchell étant alertée, il devient imprudent de prolonger le séjour ici et la situation pourrait devenir dangereuse si l'embarquement ne pouvait être effectué avant le lever du jour. Le consul Murphy propose d'aller chercher des vêtements civils, de déguiser ses compatriotes et de les ramener chez lui, quitte à les expédier plus tard par des voies de fortune secrètes. Après discussion, l'idée est abandonnée : si les officiers sont découverts en civil, ils seront pris pour des espions ; en uniforme, ils seront faits prisonniers. Une autre idée est avancée : si l'on frétait une barque de pêche qui tient mieux la mer que les canots ? On la - piquerait -, propose un Français, afin d'éviter les indiscrétions. Seulement, les barques sont à dix-sept kilomètres de Messelmoun, dans le port de Cherchell !

Enfin, vers une heure du matin, le vent ayant tourné, les tentatives reprennent sur la plage. Américains, Anglais, Français dont les deux officiers des Douairs, se mettent en tenue de bain. A deux cents mètres, le sous-marin s'est approché à la limite du danger pour lui. Mais les risques que court la délégation sont trop grands! Et l'opération des porteurs à bras se renouvelle, stoïquement, dans les embruns. Finalement, après des efforts prolongés, le colonel Holmes, toujours éclaireur, est embarqué le premier sous la douche géante. Le général Clark le suit en caleçon et, tout nimbé de clarté lunaire, s'enlève sur la crête d'une vague de deux mètres de haut !

A quatre heures un quart, tous les alliés ont regagné le submersible après deux chavirements en eau profonde. Il est temps ! Le jour commence à poindre et, du sous-marin, on aperçoit sur la route côtière les phares de plusieurs voitures qui pourraient être celles de la police. - On a eu une sacrée histoire à terre ! - dit le général Clark au pacha du Seraph, en arrivant à bord.

Sur la plage il ne reste plus que six hommes à demi-nus qui rient comme des fous tout en claquant des dents. Le vice-consul ramènera une otite à Alger et Bernard Karsenty, la carabine automatique à quinze coups que Clark, craignant sans doute de la perdre dans le tumulte de l'embarquement, a fini par lui abandonner en souvenir.

Tous sont exténués et transis, mais heureux du travail accompli. Le processus de libération est maintenant enclenché.

Gaston PALISSEK


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     OPÉRATION « TORCH »

Les préliminaires

A Washington et Londres

Le 7 décembre 1941, en attaquant par surprise la flotte américaine du Pacifique au mouillage dans les eaux de Pearl Harbor, le Japon provoquait l'entrée en scène des Etats Unis dans la deuxième guerre mondiale.

Si le choc est brutal, la riposte sera cinglante. Trop longtemps indécis, l'opinion populaire et le Congrès stigmatisent l'agression, la nation unanime bascule dans la belligérance. Le président Roosevelt a désormais les mains libres, l'Amérique est prête, elle saura faire face.

Pour la Grande-Bretagne isolée, qui poursuit la lutte face à l'Axe depuis le renoncement partiel et transitoire de la France, le 22 juin 1940, Pearl Harbor constitue « le désastre le plus heureux de la guerre ». Il en va de même pour l'U.R.S.S., engagée dans le conflit, le 22 juin 1941, à la suite de l'opération « Barbarossa », qui ploie sous la violence de l'offensive allemande.

Le décor est planté, tous les protagonistes sont en place. Au bloc totalitaire germano-italo-japonais s'oppose désormais l'alliance tripartite anglo-américano-soviétique dite du « Monde libre ». Le drame va se jouer, il a pour théâtre la planète.

Dès le 22 décembre 1941, en vertu de la « Charte de l'Atlantique », signée le 14 août de la même année, qui fait de Londres l'allié prioritaire de Washington, le premier ministre britannique Winston Churchill se rend à la Maison Blanche pour participer à la conférence « Arcadia ». Inaugurant un cycle de rencontres au sommet qui décideront à la fois du sort des armes et du destin géopolitique des nations, « Arcadia » se place sous le signe de « Germany first » et se propose de jeter les bases d'une stratégie alliée coordonnée au niveau mondial, selon un calendrier opérationnel aussi réaliste que possible. Son ordre du jour consacre une large part à la situation de l'empire français qui, aux termes de la convention d'armistice, demeure sous la souveraineté du gouvernement de Vichy tout en échappant à l'occupation ennemie. C'est l'occasion pour Churchill de dévoiler le plan « Gymnast » donnant priorité à l'invasion de l'Afrique du Nord française ; sa proposition est approuvée*. Hélas ! une controverse d'experts, avivée par les exigences d'une U.R.S.S. en plein désarroi, entraîne le contre-projet d'un second front européen et vient différer la décision de sept mois. Les stratèges américains et britanniques s'opposent, les premiers donnant la préférence à une opération de moyenne ampleur, « Sledgehammer », prévue en septembre 1942 sur le Cotentin, suivie en 1943 d'un débarquement de grande envergure, « Boléro », sur les côtes de la Manche. D'autres plans tout aussi discutables concernant notamment les Balkans et la Norvège sont tour à tour avancés et, dans le camp anglais, la contestation devient telle que le général Marshall, chef d'état-major de l'armée américaine, menace de renverser la vapeur et de reporter tous les efforts sur le Pacifique où le général Mac Arthur se fait pressant.

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(9) L'opportunité d'une intervention militaire en Afrique du Nord avait déjà été évoquée le 14 août 1941, entre Roosevelt et Churchill, lors de la ratification de la « Charte de l'Atlantique » à Argentia.




Le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt, en
conférence<BR>avec le premier ministre britannique, Sir
Winston Churchill.

(Le président des Etats-Unis Franklin D. Roosevelt, en conférence
avec le premier ministre britannique, Sir Winston Churchill.)



Finalement, l'intervention de Roosevelt permet de dénouer la crise et de préserver l'alliance. Les commandements militaires anglo-américains en conférence à Londres adoptent le 25 juillet 1942, le projet « Super-Gymnast » que le président des Etats-Unis entérine sur le champ sous le nom de code définitif d'opération « Torch » suggéré par Churchill. Il était temps. Trois mois et demi plus tard, le plan d'invasion de l'Afrique du Nord sera matérialisé cette fois en un temps record. Il débouchera, le 8 novembre 1942, sur la première grande opération interarmes alliée de la deuxième guerre mondiale. Sa mise au point, laborieuse quant à la discussion, confirmera le bien-fondé de la stratégie initiale d'encerclement, « Round up », prônée à la conférence « Arcadia », de préférence à une attaque frontale sur l'Europe. Son succès couronnera la lucidité de ses concepteurs attachés à contrebalancer, par une démonstration aussi spectaculaire qu'économe en vies humaines, l'effet psychologique des grandes victoires allemandes de l'époque.

Pour Hitler, la victoire passait aussi par l'Afrique. C'était le tremplin idéal pour d'autres conquêtes, le contrôle de la Méditerranée, la maîtrise de Suez et la mainmise sur le pétrole du Moyen-Orient. Conforté par la neutralité bienveillante de Franco et celle supposée de la France en Afrique du Nord, il envoie Rommel et l'« Afrika Korps » en renfort du corps expéditionnaire italien, dès février 1941, et bouscule les Britanniques dans les déserts de Libye et d'Egypte. Puis, le front se stabilise. Le génie tactique des Alliés consistera à lancer en Egypte une offensive de grande envergure deux semaines avant l'opération « Torch ». Montgomery et la VIIIe Armée attaquent à El Alamein le 23 octobre 1942 ; le 4 novembre, l'« Afrika Korps » bat en retraite. Dans le même temps, l'immense armada anglo-américaine pénètre en Méditerranée. L'ennemi croit à des renforts destinés à Malte et à Montgomery. Le 8 novembre, il apprend le débarquement allié sur la côte algéro-marocaine ; l'effet de surprise est total. Brusquement, l'équilibre stratégique mondial bascule ; c'est la « bissectrice de la guerre ». Moscou est soulagé, les Alliés entrevoient la victoire. Pour la France, c'est le « premier jour de la libération » et le retour sur le chemin de l'honneur.



En Afrique du Nord



Dès le lendemain de la signature de l'armistice, le 23 juin 1940, le général Noguès télégraphiait à Bordeaux au général Weygand, exprimant l'avis qu'il était « possible de continuer la lutte en Afrique du Nord ». Il ne fut pas suivi, mais nombre de militaires et de civils patriotes demeurèrent convaincus que, tôt ou tard, la « carte africaine », qui faisait partie du jeu stratégique mondial, serait abattue par les Alliés et qu'il importait de se tenir prêt.

Après Rethondes, l'Armée d'Afrique doit être réduite à 30 000 hommes. Les négociations entamées à la suite de l'agression anglaise de Mers el-Kébir permettent de porter les effectifs à 127 000 hommes auxquels s'ajoutent progressivement 60 000 hommes habilement camouflés. Outre la dotation officielle, un important armement et des stocks de munitions appréciables sont dissimulés dans des arsenaux clandestins. Comparativement au potentiel global de l'armée française, un nombre respectable de chars, pièces d'artillerie, avions et navires sont mis à l'abri, notamment ces deux fleurons de la flotte que représentent les cuirassés « Richelieu » et « Jean Bart ».

Partout l'ordre règne. Chez les militaires, le moral demeure élevé et l'esprit de revanche prévaut largement. Hélas ! la fatale bévue de Churchill lançant la « Royal Navy » à l'attaque de l'escadre française dans les ports de Mers el-Kébir et Dakar déclenche un sentiment d'anglophobie très préjudiciable. En corollaire, le prestige du général de Gaulle est profondément atteint. Chez les civils, l'espoir persiste ; on se montre patriote, majoritairement favorable au maréchal Pétain et antiallemand. Dans l'adversité, la population autochtone reste confiante et fidèle.



Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à Alger.



En septembre 1940, le général Weygand est dépêché de Vichy à Alger où il est nommé haut-commissaire pour l'ensemble des territoires d'Afrique du Nord et d'Afrique Occidentale. Véritable proconsul, sa fonction lui donne autorité sur les gouverneurs coloniaux et l'administration civile en même temps qu'il dispose des pouvoirs militaires. Weygand incarne la permanence de la France outre Méditerranée ; sa formule « Défendre l'Afrique du Nord contre quiconque ». A l'époque, la menace vient de l'Axe et l'hypothèse d'une intervention par l'Espagne est concevable ; l'armée d'Afrique doit être en mesure de s'opposer à une telle agression. De son côté, l'Amérique, qui est en pré-alerte, a compris la valeur de la plate-forme africaine et délègue à Alger une mission dirigée par le consul général Robert Murphy. Habile diplomate, cet ancien conseiller à l'ambassade des Etats-Unis à Vichy, auprès de l'amiral Leahy, est à la fois le représentant personnel du président Roosevelt et l'agent de l'« Office of Stratégie Services » (O.S.S.). Bon catholique et fin politique, Murphy a tôt fait de se rapprocher des dignitaires français en Afrique du Nord dont il apprécie la capacité à maintenir la loi sur des territoires démesurés ainsi que l'ardent patriotisme. Il rencontre le général Weygand et les deux hommes se lient de sympathie. Un accord économique portant sur la fourniture par les U.S.A. de thé, de sucre, de cotonnades, de matériel agricole et d'essence, en échange de liège, intervient le 26 février 1941. En outre, une sorte de gentlemen's agreement autorise l'implantation de onze « vice-consuls », agents à peine déguisés de l'O.S.S., tels Boyd, Coster, King, Knight, Knox et Pendar qui nouent des contacts politiques et militaires à travers le Maghreb.

L'inconcevable négligence de l'ennemi jointe aux complicités locales permettront au réseau de subsister après l'ouverture des hostilités entre l'Allemagne et les Etats-Unis, jusqu'au débarquement allié. Hélas ! Weygand n'a pas cette chance. Le 17 novembre 1941, sous la pression allemande, l'amiral Darlan le rappelle à Vichy ; il est assigné à résidence puis interné en Allemagne du 12 novembre 1942 au 5 mai 1945. Qu'importe ! la dynamique est lancée, l'Armée d'Afrique renaissante est prête à reprendre le combat. Le haut commissariat étant supprimé, le général Juin est nommé à Alger, le 21 novembre 1941, commandant en chef en Afrique du Nord. Il poursuivra dans la voie tracée par son prédécesseur avec à ses côtés les généraux Béthouart, Kœltz, Mast, Monsabert, l'amiral Fénard, le capitaine de vaisseau Barjot, les colonels Baril, Jousse, Van Hecke, Tostain, les commandants Beaufre, Aumeran et cent autres.



Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à
Alger

(Robert Murphy, consul général des Etats-Unis à Alger)



Parallèlement à l'action déployée auprès des militaires, Murphy et son équipe sont au contact de la résistance civile et assurent une liaison permanente entre Alger et Washington. Après l'entrée en guerre des Etats-Unis et la conférence « Arcadia », l'option neutraliste de l'Afrique du Nord ainsi que le plan d'assistance américain à celle-ci en cas d'agression par les forces de l'Axe doivent être révisés. Ce n'est plus seulement une aide logistique mais une intervention armée destinée à occuper le terrain et gagner la population à la cause alliée qui est envisagée. Tout l'effort de la légation américaine en Afrique du Nord consistera, en étroite collaboration avec les sympathisants locaux, à favoriser ce projet sans éveiller les soupçons ; il sera couronné de succès (9).

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(9) L'histoire officielle a inculqué aux Français l'idée selon laquelle, de l'armistice à la libération, une voie unique s'offrait à la résistance, le gaullisme, tandis que, par opposition, le pétainisme était synonyme de collaboration avec l'ennemi. Cette vision manichéenne, voire politicienne, exclut le patriotisme qui est bien le facteur fondamental de toute résistance à l'envahisseur ; les populations d'Afrique du Nord étaient patriotes, notion recouvrant à la fois l'esprit civique et le sens de l'honneur. Elles le prouvèrent en résistant avec leurs chefs, dans les conditions de l'armistice, avant de reprendre les armes aux côtés des Alliés et de poursuivre la lutte jusqu'à la victoire finale. Aussi s'étonnera-t-on de la connotation péjorative envers les Français d'Afrique du Nord qui caractérise les rares évocations historiques concernant leur rôle dans la deuxième guerre mondiale. Tout d'abord, la résistance civile et militaire puissamment efficace qui préluda au débarquement allié est systématiquement ignorée. Ensuite, les pages de gloire écrites par l'Armée d'Afrique, de Tunis à Berchtesgaden sont méthodiquement occultées.



L'un des premiers fruits de cette coopération sera la note de décembre 1941, complétée par la note de mars 1942, rédigée au profit de l'état-major américain par les colonels Jousse et Van Hecke ; documents relatifs aux capacités propres de l'armée française et aux moyens nécessaires pour mener à bien une opération de débarquement sur le littoral nord-africain. C'est également au cours de l'hiver 1941-42 que, sous couleur d'une liaison commerciale, le commandant de réserve Aumeran se rend à Washington où il prend contact avec les autorités du « War Département » et du « State Département » pour y exposer les vues stratégiques les plus justes. Des réseaux de renseignement et d'action sont constitués dans les grandes villes, notamment à Oran où le groupe d'Henri d'Astier de la Vigerie se montre particulièrement performant. Il réunit des hommes aussi dissemblables dans leurs origines que solidaires dans leur idéal, ainsi le colonel Tostain et le capitaine Jabelot, l'industriel Roger Carcassonne-Leduc, l'ingénieur Jean Moine, le docteur Sicard, l'abbé Cordier, le père Théry, René Brunel, Bordollet, Anaca, Ségura, Troppin, Smadja qui opèrent en parfaite coordination avec le réseau de résistance polonais de Stanislaw Szewalsky et le vice-consul des Etats-Unis à Oran, Ridgway Knight. Il faut encore citer à Casablanca le colonel Lelong, Charles Dimary, l'ingénieur Pélabon ; à Tanger le colonel Truchet et le capitaine Luizet ; à Constantine, Paul Schmitt et Michel Rouzé ; à Philippeville, le colonel Flipo et Emile Cianfarani ; à Tunis, le colonel Rime-Bruneau, le commandant Breuillac, le lieutenant de vaisseau Verdier, Yves Pérussel et Jean Lévy-Despas. Alger, enfin, constitue le foyer de la résistance civile et militaire en Afrique du Nord ; y sont en effet rassemblés le siège de la légation consulaire américaine ainsi que les hauts responsables de l'administration civile et militaire française. Ce voisinage permettra des échanges fréquents, fructueux et finalement déterminants à l'approche du débarquement. L'un des tout premiers résistants d'Alger, dans le temps et dans l'action, est certainement le commissaire André Achiary qui, en 1940, dirigeait la Brigade de Surveillance du Territoire chargée du contre-espionnage. Sous son influence, aux côtés des commissaires Bringard et Esquerre, la police passera en bloc dans le camp allié. Les groupes de choc qui, dans la phase finale des préparatifs de débarquement, doivent neutraliser les points névralgiques d'Alger s'organisent progressivement, notamment le groupe du docteur Morali-Daninos et le groupe Mario, commandé par le capitaine Pilafort, où se trouvent également le lieutenant Daridan et le jeune Mario Faivre âgé de dix-huit ans. C'est l'étudiant en médecine José Aboulker et son principal lieutenant, Bernard Karsenty, qui sont chargés de fédérer les organisations civiles d'Alger. La résistance intellectuelle qui a comme porte-parole Max-Pol Fouchet et sa revue « Fontaine », réunit des personnalités telles que Monseigneur Hincky et le pasteur Sturm, Gabriel Esquer, Louis Joxe, Paul Bringuier, Armand Montagne, le docteur Duboucher et tant d'autres.

C'est à la suite du rappel du général Weygand, le 17 novembre 1941, qu'un de ses intimes, l'industriel Jacques Lemaigre-Dubreuil, forme une sorte de comité directeur chargé de poursuivre les négociations clandestines avec l'Amérique. Ses fonctions d'administrateur à la société des huiles Lesieur l'amènent à de fréquents déplacements en France, au Maroc et à Dakar. A partir de décembre 1941, il délègue à Alger son homme de confiance, Jean Rigault, dont il fait son représentant permanent en Afrique du Nord. Il s'entoure également du capitaine Henri d'Astier de la Vigerie,affecté au 2e bureau de la division d'Oran et qui dirige la résistance dans cette ville, du colonel Van Hecke, responsable pour l'Afrique du Nord des Chantiers de Jeunesse dont il a fait une pépinière de jeunes patriotes, et du conseiller d'ambassade Jacques Tarbé de Saint Hardouin, ancien collaborateur de Weygand, relevé de ses fonctions par Vichy, qui joue le rôle de conseiller diplomatique. Cette cellule, qui sera bientôt baptisée le « groupe des cinq », est reconnue par Robert Murphy comme l'état-major officiel de la résistance française en Afrique du Nord. Elle s'appuiera, dans le domaine de la stratégie et de la coordination militaire, sur le général Mast et le colonel Jousse.



Le général Dwight D. Eisenhower, commandant <BR>en
chef des armées alliées en Afrique du Nord (par
H.M. Carr)

(Le général Dwight D. Eisenhower, commandant
en chef des armées alliées en Afrique du Nord (par H.M. Carr).)



L'objectif du « groupe des cinq » est de créer dans le secret les conditions favorables à un débarquement allié sur la côte nord-africaine suivi du retour de l'armée française au combat. Le plan sera élaboré et exécuté en liaison avec la Maison-Blanche et les états-majors anglo-américains par l'intermédiaire du consul des Etats-Unis à Alger, Robert Murphy. Il prévoit que la force de débarquement alliée soit suffisamment massive pour garantir son succès immédiat et suffisamment dissuasive pour interdire sur place toute défense ; de même, doit-elle annihiler toute volonté contre-offensive de l'ennemi. Les préparatifs seront conduits à l'insu du général de Gaulle et de la France Libre(10). De même, le dispositif militaire britannique sera-t-il aussi discret que possible. L'Afrique du Nord libérée sera pourvue sur le champ d'un chef unanimement respecté dont la désignation sera exclusivement française. Les opérations militaires de débarquement seront soumises au leadership américain. Les autorités de la résistance à Alger seront avisées en temps opportun de la date du débarquement. Enfin, point essentiel, un « accord de souveraineté » de la France sur le territoire de l'Afrique du Nord devra être conclu préalablement à l'accès des troupes alliées sur son sol.

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(10) A Alger, Murphy est comme un poisson dans l'eau. Parfaitement intégré aux modes de vie et aux mentalités, il épouse l'état d'esprit des Européens qui ressemble à celui des pionniers américains. Quant à la population indigène, elle lui paraît fidèlement attachée à la France. Son excellent contact humain, son sens de la décision, sa vive intelligence et son intimité avec Roosevelt pèseront très fort dans l'option stratégique « Torch » elle-même et dans les moyens de la réaliser. Il n'ignore pas que, sur place, l'opinion est majoritairement opposée à de Gaulle. Le général est inévitablement associé aux agressions anglaises de Mers el-Kébir de même qu'à la piteuse expédition de Dakar et aux dramatiques affrontements franco-français de Syrie. De plus, aux yeux du président Roosevelt, il s'est gravement discrédité dans le raid de l'amiral Muselier à Saint-Pierre et Miquelon. Enfin, son entourage londonien pose problème et les services secrets américains prétendent qu'il est environné d'espions. Impopularité d'une part, secret menacé de l'autre, le général de Gaulle est totalement écarté du projet.



Reste donc à choisir et à proposer aux Alliés ce chef indiscutable qui doit rallier l'Afrique du Nord, de même qu'il est nécessaire d'organiser une ultime rencontre franco-américaine pour parachever les préparatifs.

En ce qui concerne l'autorité suprême qui représentera la France, le choix du groupe des cinq répond à une tendance nettement pro-américaine, peu favorable à la Grande-Bretagne et non gaulliste. Instamment sollicité par Lemaigre-Dubreuil, Weygand se récuse, prétextant son grand âge. Le général d'armée Giraud, personnage à la haute stature, ancien compagnon de Lyautey, qui a réussi le 18 avril 1942 une évasion retentissante de la forteresse allemande de Kônigstein où il était détenu, est alors désigné par Lemaigre-Dubreuil le 19 mai 1942, puis visité par Van Hecke en juin. Quoiqu'adepte d'un débarquement en Provence et prétendant à un utopiste commandement en chef de la future force interalliée, Giraud accepte finalement et se tient prêt. En août 1942, il désigne le général Mast, nouveau commandant de la division d'Alger, comme son chef d'état-major et son délégué militaire en Afrique. Le 25 septembre 1942, ce dernier adresse une directive à tous les groupements de résistance « Le but à atteindre est d'avoir une attitude telle, vis-à-vis des Alliés,qu'elle permette ultérieurement de maintenir le territoire nord-africain sous la souveraineté française ». Selon la volonté de Tarbé de Saint Hardouin, cette note est complétée, à l'intention des Américains, en spécifiant que « Si des résistances locales prévues se produisent, comme celles de la marine de guerre, elles ne sauraient être invoquées par les Alliés pour ne pas reconnaître le commandement français ».

Coup de tonnerre ! De retour des Etats-Unis, le 14 octobre 1942, Robert Murphy rapporte une nouvelle sensationnelle « L'intervention alliée en Afrique du Nord est proche. Les forces de débarquement seront considérables : 500 000 hommes, 2 000 avions » (chiffres très exagérés en vue de galvaniser les amis et décourager l'ennemi). De plus, le général Eisenhower, commandant en chef du corps expéditionnaire, souhaite une rencontre immédiate entre son état-major et celui du général Giraud dont le choix est entièrement approuvé. Il désigne pour le représenter son adjoint direct, le général Clark.

Ce sera l'entrevue de Cherchell, le 22 octobre 1942. Elle se tiendra, plus précisément, à Fontaine-du-Génie, dans la villa Teissier, 110 kilomètres à l'ouest d'Alger, en bordure de la plage de Messelmoun. Comme dans les romans d'espionnage, un sous-marin anglais, le « Seraph » sous les ordres du lieutenant Jewell, prendra en charge la délégation américaine à Gibraltar pour la débarquer de nuit, dans des radeaux pneumatiques, sur le littoral algérien. Outre le général Clark, les principaux émissaires américains sont le général Lemnitzer, chef de bureau des opérations de l'état-major allié à Londres, le colonel Hamblen, le capitaine de vaisseau Wright, accompagnés d'un conseiller politique, le colonel Holmes du State Département. Du côté français, le général Mast est assisté du colonel Jousse, du capitaine de frégate Barjot, du commandant Dartois et, pour le groupe des cinq, d'Henri d'Astier de la Vigerie, du colonel Van Hecke et de Jean Rigault. Mast remet aux Américains une note explicative sur la situation en Afrique du Nord. Il insiste sur la nécessité de débarquer à Bône pour verrouiller la Tunisie (requête hélas demeurée vaine). Il fait part des volontés exprimées par le général Giraud en matière de commandement en chef (elles seront rejetées). Il insiste pour être prévenu en temps utile afin de mettre en place les groupes de résistance, espérant ainsi contrôler, sinon neutraliser, les réactions de riposte au débarquement. Enfin, un projet d'accord sur la souveraineté française en Afrique du Nord est présenté. La conférence, qui se déroule sous l'heureux arbitrage des consuls Murphy et Knight, est empreinte de cordialité. En fait, le plan « Torch » est déjà arrêté et les convois vont appareiller des Etats-Unis dès le surlendemain 24 octobre. Clark, conscient de la relative faiblesse des moyens militaires alliés tient visiblement à être rassuré sur la capacité des groupes de résistance à minimiser la « casse ».

Le 28 octobre, Murphy annonce à Mast la date du débarquement. Ce dernier s'enquiert immédiatement des dispositions prises pour le transport de Giraud à Alger et demande l'envoi d'un sous-marin. Il insiste ensuite pour que les points de débarquement qu'il a lui-même indiqués à Clark, Sidi-Ferruch Pointe-Pescade et Surcouf, soient scrupuleusement respectés, la défense de ces plages étant neutralisée par ses soins. Il s'attache enfin à mettre en œuvre le plan élaboré par lui-même avec les responsables de la résistance.

Le 2 novembre, Robert Murphy est autorisé par le président Franklin Roosevelt à reconnaître l'accord de souveraineté demandé par le général Henri Giraud.

Le général Giraud en bande dessinée : tract en
<BR>langue arabe à l'intention des populations <BR>musulmanes
d'Afrique du Nord.

(Le général Giraud en bande dessinée : tract en
langue arabe à l'intention des populations
musulmanes d'Afrique du Nord.)





LES HUIT POINTS DE L'ACCORD MURPHY-GIRAUD
DU 3 NOVEMBRE 1942



Dans deux documents présentés au nom du Président Roosevelt par M. Robert Murphy et adressés au général GIRAUD, les huit points suivants étaient soulignés :

1. - restauration de la France en sa pleine indépendance dans toute l'étendue et dans toute la grandeur qu'elle possédait avant la guerre, aussi bien en Europe que Outre-mer,

2. - la souveraineté française sera rétablie aussitôt que possible sur tous les territoires sur lesquels flottait en 1939 le drapeau français,

3. - le gouvernement des États-Unis considère la Nation Française comme une Alliée et la traitera comme- telle,

4. - Les autorités américaines n'interviendront en rien dans toutes les affaires qui sont uniquement du ressort de l'administration nationale et qui relèvent de l'exercice de la souveraineté française,

5. - extension du bénéfice de la Loi Prêt-Bail à l'Afrique du Nord Française,

6. - fourniture aux Forces Françaises d'armes et d'un équipement moderne,

7. - la question du commandement est, en principe, réglée comme suit : pendant les opérations de débarquement, commandement américain ; dans les 48 heures qui suivront la mise à terre du premier convoi, commandement mixte "inter-allié" ; enfin, commandement suprême français dès que possible,

8. - la période de commandement mixte correspond au réarmement des troupes françaises : un général d'armée français sera adjoint au Commandant en Chef américain immédiatement après le débarquement.

Sans l'entrevue de Cherchell, qui provoqua le déplacement d'un Etat-major américain, le débarquement obligatoirement brusqué aurait eu lieu sans qu'un tel accord "de souveraineté" ait pu être conclu.

Et ce furent des "clandestins" qui obtinrent cet accord !



Dans la nuit du 5 au 6 novembre, le général Giraud embarque à son tour sur ce même sous-marin « Seraph » dans le golfe de Bandol. Le 7 au matin, il est transbordé au large des Baléares sur un hydravion « Catalina » qui le dépose quelques heures plus tard à Gibraltar. Il y rencontre le général Eisenhower et, après une conférence houleuse, parvient à un terrain d'entente sur le partage du pouvoir militaire, la confirmation de l'accord de souveraineté et la reconnaissance de son autorité unique dans l'administration et le gouvernement des territoires français d'Afrique du Nord.

Nous sommes au matin du 8 novembre 1942 et le canon tonne sur la côte africaine.



Opération « Torch » - le convoi en
route vers l'Afrique du Nord.

(Opération « Torch » - le convoi en route vers l'Afrique du Nord.)



Le grand jour

Les objectifs

L'opération « Torch » est fixée le 8 novembre 1942 dans les premières heures. Elle s'est assignée trois objectifs : Casablanca, Oran et Alger.

Telle qu'elle a été arrêtée le 24 juillet 1942, « Torch » se définit comme une opération amphibie anglo-américaine dont les buts essentiels sont :

— D'établir des têtes de pont entre Oran et la Tunisie, d'une part,

— D'établir des bases au Maroc, d'autre part.

— D'exploiter les têtes de pont ainsi formées pour chasser les forces de l'Axe du Maroc, de l'Algérie et de la Tunisie (sic), de manière à progresser ensuite vers l'est contre les arrières de l'armée Rommel, « Afrika Korps » et corps expéditionnaire italien réunis.

— Enfin, de se servir de l'Afrique du Nord comme d'une base de départ vaste et efficace pour des opérations ultérieures sur le continent européen.

Les plans de débarquement prévoient en outre une coordination entre les forces d'assaut proprement dites et l'action sur le terrain des organisations clandestines, afin de faciliter l'occupation du sol par les Alliés.

Le 14 août 1942, le général américain Dwight Eisenhower est nommé commandant en chef suprême des forces alliées et l'amiral Andrew Cunningham (ancien chef de l'escadre anglaise de Méditerranée), commandant en chef des forces navales.Le général Doolittle (héros du raid sur Tokyo), pour l'U.S. Air-Force, et l'air-marshall Waslh, pour la Royal-Air-Force, se partagent le commandement aérien. Le général Mark Clark, commandant en second, est également américain, de façon à conserver le leadership aux Etats-Unis en cas d'indisponibilité d'Eisenhower ; il a de plus autorité directe sur les chefs des trois forces terrestres de débarquement, les généraux américains Patton, Fredendall et Ryder.



Casablanca

La « Task Force 34 » occidentale a pour objectif Casablanca. Elle est entièrement américaine. Les forces terrestres se composent de 35 000 hommes et sont placées sous les ordres du fameux général George Patton. Les forces navales, commandées par l'amiral Henry Hewitt, comprennent une centaine de navires de guerre, 29 transports de troupe et 102 cargos. Les 23 et 24 octobre, cette flotte appareille directement des Etats-Unis, principalement des ports de Hampton-Roads, Norfolk et Portland. Au sein de l'escadre de guerre, un groupe de couverture (covering), sous l'autorité du contre-amiral Giffen, a pour mission de neutraliser la flotte française, notamment le cuirassé « Jean Bart » ; il compte dans ses rangs le puissant cuirassé « Massachusetts » ainsi que les croiseurs « Wichita » et « Tuscaloosa ». Le croiseur lourd « Augusta » porte la marque de l'amiral Hewitt. Une importante protection aérienne est embarquée sur les porte-avions « Chenango », « Ranger », « Sangamon », « Santee » et « Suwanee ».



COMMANDANTS DE LA « TASK FORCE»

(COMMANDANTS DE LA « TASK FORCE»)



Bien qu'Eisenhower eût insisté pour que « Torche » fût vraiment une entreprise commune, les structures du commandement étaient exclusivement américaines. D'ailleurs, le président Roosevelt n'avait-il pas déclaré : « Je suis fermement convaincu que les premières attaques doivent être menées par des troupes exclusivement américaines » ?

La « Task Force » se divise elle-même en trois groupes d'assaut : — Groupe nord (Northern attack), comprenant un contingent de 9 500 hommes et 65 chars, sous la protection du cuirassé « Texas » et du croiseur « Savannah ». Il est commandé par le général Truscott et doit débarquer à l'embouchure de l'oued Sebou, 120 kilomètres au nord-est de Casablanca.

Il a pour objectifs Mehdia et Port-Lyautey avec son aéroport.

— Groupe centre (Center attack), composé de 19 000 hommes et 79 chars, couvert par les croiseurs lourds « Augusta », « Brooklyn » et « Cleveland ». Il doit prendre pied sur la plage de Fédala en divers points (Blue beach 1-2-3 et Red beach 1-2-3), 25 kilomètres au nord-est de Casablanca. Son objectif est de neutraliser Fédala, puis de s'emparer de Casablanca.

— Groupe Sud (Southern attack), comptant 6 500 hommes et 108 chars, appuyé par le cuirassé « New York » et le croiseur « Philadelphia ». Sous le commandement du général Harmon, il doit s'emparer du port de Safi pour y décharger ses chars « Sherman » et « Grant » avant de pousser en direction de Marrakech.



Les opérations à Casablanca et l'indication <BR>codée
des points de débarquement.

(Les opérations à Casablanca et l'indication
codée des points de débarquement.)




Le parapluie aérien fourni par l'aéronavale est de 172 avions.

Du côté français, l'organisation défensive du Maroc est placée sous l'autorité du résident général Noguès. Le général Béthouart, qui s'illustra à Narvik, commande la division de Casablanca et l'amiral Michelier est à la tête de l'escadre. L'armée de terre dispose de 30 900 hommes des forces de manœuvre, effectif qui peut être rapidement doublé par la mise en œuvre des réserves et la mobilisation des goums. De puissantes batteries côtières sont implantées, notamment à El-Hank et au cap Fédala. Les forces navales sont constituées par le cuirassé « Jean Bart », immobilisé mais redoutablement armé, 1 croiseur, 3 contre-torpilleurs, 7 torpilleurs, 12 sous-marins et 4 avisos. L'armée de l'air compte environ 170 appareils de combat en état de vol. Béthouart, qui est acquis à la cause alliée, sera averti trop tardivement pour mettre en place son dispositif dans les meilleures conditions. De plus, il se heurtera à l'incompréhension de Noguès et de Michelier. Tandis que Béthouart et son état-major sont arrêtés et transférés à la prison de Meknès en vue d'être traduits en conseil de guerre, les troupes américaines éprouvent certaines difficultés à s'établir et à progresser sur le territoire marocain.

La garnison de Fédala exécute l'ordre du général Béthouart et n'oppose aucune résistance au débarquement du groupe centre. En fin de journée, 8 000 hommes et tous les chars américains forment une solide tête de pont. A Mehdia, la réaction française est plus vive et la situation du groupe nord est préoccupante au soir du 8 novembre. Le groupe sud, malgré la défense des batteries côtières, parvient à décharger ses chars dans le port de Safi où l'a précédé un commando qui s'est assuré des installations militaires. Dans l'après-midi, une contre-attaque appuyée par quelques chars Renault est repoussée et, dans la soirée, la résistance française cesse. La tête de pont américaine s'établit alors normalement sur une profondeur de 4 kilomètres.

Tandis que le cessez-le-feu est proclamé à Alger dans l'après-midi du 8 novembre, les combats se poursuivent au Maroc et à Oran ; Vichy commande d'organiser un théâtre d'opération Maroc-Oranie sous les ordres du général Noguès. Néanmoins, malgré des retards et des problèmes de navigation dûs aux marées, le débarquement des troupes et du matériel s'intensifie, de sorte qu'à part Mehdia, la situation au matin du 9 novembre est dans l'ensemble conforme aux prévisions. Toutefois, aux approches de Casablanca le groupe centre va se heurter à la division dont le général Desré a pris le commandement en remplacement du général Béthouart. Patton préfère consolider ses appuis et remettre son attaque au 11 novembre. En bien d'autres points, la réaction française est assez molle ; les ordres de Béthouart ont finalement porté. Dans la matinée du 10 novembre, un audacieux coup de main du destroyer « Dallas », avec le pilote français Lavergne à sa barre, est lancé dans l'oued Sebou. Un commando est débarqué, appuyé par l'artillerie du « Dallas », et vient à bout de la garnison de Mehdia. A midi, les premiers avions américains se posent sur la base de Port-Lyautey. Dans le secteur de Safi, le groupement blindé du groupe sud atteint Mazagan et se prépare à participer le 11 novembre à l'offensive Patton. Entre-temps, l'amiral Darlan — invité surprise à Alger —, qui a pris le commandement en chef des forces françaises d'Afrique du Nord, envoie un message de cessez-le-feu à Noguès dans la journée du 10. Noguès réclame confirmation et le commandant Dorange est dépêché d'Alger par avion avec un ordre écrit. Dorange est contraint de se poser à Oujda d'où il téléphone à Casablanca à 17 heures 30. Le cessez-le-feu sera finalement proclamé le 11 novembre à 7 heures 30. Patton immédiatement prévenu annule la préparation d'artillerie qui devait précéder son offensive.

Sur la plage de Fédala, Gl's halant une pièce
antichar.

(Sur la plage de Fédala, Gl's halant une pièce antichar.)



La bataille de Casablanca s'achevait ; son bilan était lourd. Il eût pu être plus sévère si la résistance militaire opposée à l'entêtement de Noguès n'avait évité le pire. La flotte française était hors de combat avec le « Jean Bart » reposant sur le fond du port, le croiseur « Primauget » coulé avec 5 sous-marins et 6 torpilleurs. On ne déplorait pas moins de 462 officiers et marins tués et près de 600 blessés. L'armée de terre comptait environ 1 400 tués et blessés. Une vingtaine d'avions avaient été détruits. Les pertes terrestres américaines étaient du même ordre, mais les pertes navales étaient minimes.



Oran

La « Task Force » centrale a pour objectif Oran. Les forces terrestres, entièrement américaines comptent 39 000 hommes sous les ordres du général Fredendall. Les forces navales, placées sous le commandement de l'amiral anglais Troubridge, se composent d'une escadre britannique extrêmement puissante (une centaine de bâtiments de guerre) destinée à décourager toute intervention italienne et dissuader la sortie de la flotte française de Toulon (véritable marotte de Churchill). Elle se partage en un groupe de combat, comprenant les cuirassés « Nelson » et « Duke of York », le croiseur de bataille « Renown », les porte-avions « Victorious » et « Formidable », 4 croiseurs et 17 destroyers, et un groupe de couverture composé du cuirasse « Rodney », des porte-avions « Furious », « Biter » et « Dasher », du croiseur lourd « Delhi », de 2 croiseurs, 11 destroyers et 6 corvettes. L'armada est complétée par quelque 140 transports et cargos.

L'appareillage a lieu les 22 et 26 octobre en Ecosse, dans l'embouchure de la Clyde.



Les opérations à Oran.

(Les opérations à Oran.)



Le commandement a prévu un mouvement d'encerclement d'Oran par l'est et par l'ouest, ainsi que deux opérations de commando qui se révéleront des plus malencontreuses. La première consiste en une attaque « surprise » du port, la seconde en un parachutage sur les terrains d'aviation de Tafaraoui et La Sénia.

Le 8 novembre à 1 heure, un petit patrouilleur arrivant du Maroc se retrouve au milieu de l'escadre alliée et donne l'alerte. A 2 heures, tous les organes de commandement sont avertis et prennent des mesures de défense.

A 3 heures, 2 corvettes britanniques arborant pavillon américain, le « Walney » et le « Hartland », se présentent à la passe du port d'Oran en s'annonçant par haut-parleur. Elles ont a leur bord 400 soldats américains et 200 marins qui constituent le commando « Reservist » dirigé par un officier britannique, le capitaine de vaisseau en retraite Thornton Peters. Ce raid d'une folle témérité se propose de neutraliser les postes clés et de se rendre maître du port. Il se solde par un échec total : les deux bâtiments sont coulés, plus de 300 hommes tués et le reste capturé.

L'opération aéroportée n'aura guère plus de succès. Décollant de Cornouailles, 550 parachutistes sont transportés d'une seule traite sur une distance de 1 700 kilomètres pour être largués entre le mont du Tessala et la Sebkha afin d'investir les bases aériennes de La Sénia et Tafaraoui. Ils seront décimés et pour la plupart faits prisonniers.

Le gros du corps expéditionnaire se scinde en trois groupes :

— La « Green Force » du colonel Robinett débarque sur la plage de Marsa-Bouzedjar (« Beach X »), 45 kilomètres à l'ouest d'Oran. Il est constitué d'une unité blindée, environ 3 000 hommes et 40 chars. Il doit réaliser un mouvement enveloppant en direction de La Sénia, vers l'est.

— Le 26e Régiment d'infanterie renforcé (« Combat Team 26 »), soit 5 000 hommes représentant environ le tiers de la Ire Division d'Infanterie U.S., sous les ordres du général Théodor Roosevelt (fils du président), débarque sur la plage des Andalouses (« Beach Y »), 30 kilomètres à l'ouest d'Oran. Son objectif est Mers el-Kébir, puis Oran.



LE PREMIER MORT DU DÉBARQUEMENT



Le 8 novembre 1942 à 1 heure du matin, un commando américain aborde tout près du port d'Arzew dans un silence total. Il approche à pas feutrés du fort de la Pointe qui domine la passe. Le canonnier Pierre Morales du 68e Régiment d'Artillerie d'Afrique est alors en faction. Soudain, il s'affaisse sans un murmure impitoyablement poignardé par un Ranger. Il est 1 heure 30, l'opération « Torch » vient de commencer.



L'aviation embarquée se compose de 180 appareils.

Côté français, le secteur de défense d'Oran est commandé par la marine ; le contre-amiral Rioult exerçant ce commandement a sous ses ordres le général Boissau et la division d'Oran. Les forces terrestres sont importantes et regroupent 13 bataillons d'infanterie, 6 groupes d'artillerie, 1 régiment de cavalerie, 1 brigade légère mécanique de 45 chars D-l. L'effectif total de 15 500 hommes peut être porté à 20 000 par mobilisation rapide, sans compter le renfort plus ou moins hypothétique de 3 700 volontaires civils appartenant au S.O.L. Des batteries côtières abritées dans les anciennes fortifications espagnoles, notamment au Santon, au Ravin Blanc et à Canastel, offrent une défense appréciable vers la mer, que vient compléter une flotille formée d'un contre-torpilleur, 3 torpilleurs, 1 aviso, 4 sous-marins armés et 4 en gardiennage, 4 patrouilleurs et 2 sections de dragage. L'aviation compte plus de 100 avions répartis sur les terrains de La Sénia et Tafaraoui, ainsi qu'un groupe d'hydravions à l'hydrobase d'Arzew. Malgré une information tardive, la résistance civile bien organisée jouera son rôle. C'est ainsi que la passe sera dégagée de son filet de protection et le paquebot « Laferrière », devant faire barrage, échoué le long de la jetée par le pilote Forlemeyère ; les docks flottants ne seront pas coulés mais simplement immergés ; de nombreux navires marchands refuseront le sabordage ; l'explosion du tunnel des Bains-de-la-Reine et la destruction de la centrale électrique de Mers el-Kébir seront empêchées par le chef d'équipe Tropin, de même que sera évité l'incendie du port d'Oran par le déversement des stocks de mazout. Malheureusement, la résistance militaire échouera et le colonel Tostain se retrouvera aux arrêts après avoir tenté de rallier le général Boissau.



Un élément de la 1ère Division d'Infanterie
U.S. <BR>prend pied sur la plage de Saint-Leu, drapeau <BR>américain
déployé, sans rencontrer de résistance.

(Un élément de la 1ère Division d'Infanterie U.S.
prend pied sur la plage de Saint-Leu, drapeau
américain déployé, sans rencontrer de résistance.)



Tandis que le commando « Reservist » dans le port d'Oran et l'opération aéroportée de la Sebkha échouent lamentablement, les forces de débarquement américaines ont pris pied aux emplacements désignés sans rencontrer d'opposition.

A Marsa-Bouzedjar, en raison d'équipages inexpérimentés, l'abordage des chars s'effectue lentement et le bataillon n'est finalement regroupé que dans l'après-midi du 8 novembre. La colonne se met en route et atteint Lourmel, puis Misserghin où elle se heurte à un premier foyer de résistance et fait halte dans la soirée. Le « Combat Team 26 » débarque aux Andalouses sans essuyer un coup de feu et fait marche, par Bou-Sfer et Ain el-Turk, vers Mers el-Kébir. Mais le 8 novembre après-midi, à l'approche du Santon, il est pris sous le feu de l'artillerie côtière et cloué au sol par un élément du 2e Zouaves. Malgré tous ses efforts, il ne pourra reprendre sa progression et ne participera pas à la prise de la ville. Dans le secteur d'Arzew, le bataillon de « Rangers » débarque le 8 novembre dès 1 heure et s'empare de la batterie de la Pointe par surprise. Après un simulacre de résistance, le fort du Nord tombe à 5 heures.La passe n'ayant pas été obstruée et les feux de balisage étant allumés, le débarquement se poursuit dans le port même. La base aéronavale est rapidement enlevée et, dès 9 heures, Arzew est entièrement occupé. Dès lors, les chars et le matériel lourd sont mis à terre sans difficulté. L'opération amphibie sous les ordres directs de Fredendall a parfaitement réussi et la progression commence. Le « Combat Team 18 » se présente devant Saint-Cloud en début d'après-midi et se heurte à une vigoureuse résistance de la part d'un bataillon du 16e Tirailleurs et d'un bataillon de la Légion. Il suspendra sa marche jusqu'au surlendemain. Le « Combat Team 16 » se partage en deux éléments, l'un à l'est chargé de contenir un détachement du 2e Tirailleurs sur la Macta, l'autre à l'ouest entreprend de marcher sur Oran mais bute contre le centre de résistance de Fleurus et se contente de prendre position dans la soirée du 8 novembre. Enfin, le « Combat Command B », composé de chars légers M5 « Stuart » et moyens M3 « Grant » avec quelques M4 « Sherman », s'élance vers la base de Tafaraoui qu'il atteint le 8 dès midi et prend au premier assaut. Deux escadrilles de « Spitfire » décollant de Gibraltar s'y poseront à 17 heures 30. La journée du 9 novembre apportera peu de changements sinon la prise de la base de la Sénia par le « Combat Command B » vers 11 heures. Elle sera également marquée par le ralliement courageux du sous-préfet de Tiaret, Luizet, et la non-intervention du bataillon de cette ville. A Saint-Lucien, le bataillon léger motorisé de Sidi-Bel-Abbès refusera sagement d'affronter les chars américains. La ville étant encerclée selon le plan prévu, l'avance reprend le 10 au matin vers 10 heures. Malgré quelques nids de résistance à Saint-Cloud, Fleurus et Arcole, rapidement balayés par les forces blindées du « Combat Command B », la défense est des plus molles. A 11 heures, le premier « Half Track » suivi bientôt du premier « Grant » pénètrent dans la ville et le 10 novembre avant midi, le général Boissau et l'amiral Rioult proclament le cessez-le-feu à Oran.

En définitive, les manœuvres terrestres généralement menées avec tact par les Américains et sans grande conviction par les Français se soldaient par des pertes relativement minimes dans les deux camps. Hélas ! il n'en allait pas de même pour les opérations navales. Une sortie par trop téméraire opposait la flottille française imprégnée du souvenir de Mers el-Kébir à l'escadre anglaise qui n'en faisait qu'une bouchée. Un contre-torpilleur, 2 torpilleurs, 1 aviso et 2 sous-marins furent coulés ou s'échouèrent. Le torpilleur restant, 4 sous-marins, 7 patrouilleurs et 13 navires marchands se sabordèrent le 9 novembre en exécution d'ordres inconsidérés. Pour le sous-marin « Fresnel », qui réussissait au prix de mille périls à regagner Toulon, ce n'était que partie remise et il disparaissait à son tour le 27 novembre dans le sabordage général de la flotte. Les combats d'Oran avaient causé la mort de 300 officiers et marins et fait 150 blessés. Les pertes alliées étaient équivalentes. Une quinzaine d'avions français avaient été détruits au combat ou au sol. Les pertes terrestres chez les Français comme chez les Américains n'excédaient pas 300 hommes (tués ou blessés).



Alger

La « Task Force » orientale a pour objectif Alger. L'armée de débarquement alliée est formée de 10 000 soldats américains et 23 000 britanniques sous les ordres du général américain Ryder. L'escadre commandée par l'amiral anglais Burrough se compose des croiseurs « Sheffield », « Scylla » et « Charybdis », des porte-avions « Argus » et « Avenger », de 3 bâtiments anti-aériens, 1 monitor, 13 destroyers et 7 corvettes (une soixante de navires de guerre au total). Quelque 120 transports de troupe et cargos l'accompagnent.





Les opérations à Alger.

(Les opérations à Alger.)



Comme le convoi d'Oran et aux mêmes dates, l'armada d'Alger a appareillé dans l'estuaire de la Clyde. De même, le commandement américain a-t-il prévu un mouvement d'encerclement et trois groupements de débarquement :

— Le « Apples », lui-même scindé en deux groupes « Green » et « White », doit aborder entre Castiglione et l'embouchure du Mazafran, une trentaine de kilomètres à l'ouest d'Alger. Il est constitué par la 11e Brigade d'Infanterie britannique et doit se porter sur Birtouta, pour le groupe « White », sur Blida, pour le groupe « Green ».

— Le « Béer » est partagé en trois groupes. Le « Green », sur la plage de Sidi-Ferruch, est constitué par un commando, chargé d'occuper le fort, et par le « Combat Team 168 » américain qui doit marcher sur Alger en direction d'El-Biar. Le « White », qui est un élément de la même unité, débarque dans le voisinage, au Ras-Accras, 10 kilomètres à l'ouest d'Alger, et doit pénétrer dans la ville par la Bouzaréah. Enfin le « Red », qui prend pied à Pointe-Pescade, dans le faubourg ouest de la ville, est constitué par un fort commando chargé de s'emparer de la batterie Duperré. — Le « Charlie », qui constitue le groupement est, a été constitué sur les conseils du général Mast. Il se répartit à l'est immédiat du Cap Matifou en quatre groupes, « Green », « Blue », « Red 1 » et « Red 2 », respectivement centrés sur les plages de Jean-Bart, Aïn-Taya, Surcouf et l'embouchure de la Rhégaïa. Il comprend un commando destiné à neutraliser le fort d'Estrées et le « Combat Team 39 » américain dont la double mission consiste à prendre l'aérodrome de Maison-Blanche et à boucler Alger, distant de 25 kilomètres, par l'est.

Une réserve embarquée, constituée par la 36e Brigade d'Infanterie britannique, se tient au large de Sidi-Ferruch. Tandis qu'Alger se trouve paralysé par les organisations de résistance, les opérations de débarquement se déroulent dans un désordre indescriptible et le temps passe.

Simultanément à l'opération principale, comme à Oran, un inefficace et inconséquent commando embarqué sur les destroyers anglais « Broke » et « Malcolm » est lancé dans le port d'Alger. Dès cet instant, les défenses de la ville sont mises en alerte. Une vingtaine de soldats américains sont tués et 200 faits prisonniers.

Par bonheur, du côté français, les organisations de résistance fonctionnent à merveille. Il est vrai que tous les hauts responsables militaires et civils se trouvent sur place et en liaison instantanée avec le consulat des Etats-Unis. Le général Mast, prévenu le 28 octobre par Robert Murphy, a pu contacter ses principaux lieutenants de même que le groupe des cinq.

Henri d'Astier a prévu la participation d'un millier de résistants. Il s'en présente 377 et chaque équipe se voit réduite à proportion. A minuit, l'organisation civile perçoit armes et munitions. Chacun se fait remettre un brassard V.P. (Volontaire de Place) qui l'accrédite à tous les postes militaires. C'est le lieutenant-colonel Jousse, sous couvert du général commandant d'armes, qui a élaboré le plan de neutralisation des points-clés. A partir de 0h30, tous les postes militaires sont relevés sans qu'aucun chef de poste n'oppose d'objection. A 1 heure, tous les points sensibles essentiels : états-majors, central de transmissions de l'Air, résidences des généraux, Radio Alger, centraux téléphoniques, poste centrale, Palais d'Eté, préfecture, commissariat central et commissariats de quartiers sont aux mains de l'organisation résistante. José Aboulker occupe le commissariat central, le lieutenant Pilafort s'est emparé du central protégé de Mogador. Toutes les communications sont coupées, Alger ne répond plus, la ville est paralysée.

Cependant un événement totalement imprévisible et inconnu de tous est survenu l'avant-veille. L'amiral Darlan, commandant en chef suprême des forces armées françaises et principal confident du maréchal Pétain, est arrivé incognito à Alger le 6 novembre par avion en provenance de Vichy. La raison, ou le prétexte de ce voyage, serait la grave maladie de son fils, l'enseigne de vaisseau Alain Darlan, frappé de poliomyélite et traité dans un hôpital d'Alger. La présence à Alger d'une telle personnalité à l'heure du débarquement allié ne peut avoir qu'une profonde incidence sur la suite des événements.

Murphy n'ignore pas la phrase de Darlan à l'amiral Leahy, alors ambassadeur des Etats-Unis à Vichy : « Si vous venez à 50 000, je vous tire dessus. Si vous venez à 500 000, je vous ouvre les bras ». De plus, Darlan s'est efforcé de garder le contact avec lui par l'intermédiaire de l'amiral Fénard, secrétaire général de l'Algérie, pour souligner que sa fonction lui donne plein pouvoir sur l'Afrique. Toujours est-il que Murphy vient rendre visite au général Juin dans la nuit du 7 au 8 novembre pour lui apprendre la nouvelle du débarquement et tenter de le rallier à la cause. Juin visiblement embarrassé déclare qu'il se prononcerait immédiatement s'il ne tenait qu'à lui : « Mais — ajoute-t-il — comme vous le savez, Darlan est à Alger. Il est mon supérieur et c'est à lui que la décision appartient ». Murphy est-il informé comme Juin le pense ? Feint-il la surprise ? L'inconnue subsiste, même s'il n'est pas exclu d'imaginer que Washington ait pu tenter d'obtenir un atout supplémentaire de la part de Vichy, la carte Giraud n'étant pas dépourvue de risques. Où commence et où s'achève le double jeu ? Darlan par câble secret de l'amirauté — on le sait depuis — est en contact direct avec le maréchal. Est-il son représentant officiel auprès des Américains comme il l'affirmera plus tard ? Laissant Juin, Murphy se rend immédiatement auprès de Darlan qui est hébergé chez l'amiral Fénard. Mis au courant de l'imminence de l'opération « Torch » par Murphy, Darlan explose de colère : « Je sais depuis longtemps que les Anglais sont stupides. Je croyais les Américains plus intelligents. Je vois qu'ils se valent. Si vous aviez attendu quelques semaines, nous aurions agi ensemble suivant un plan de coopération établi non seulement pour l'Afrique mais pour la France. Vous avez voulu marcher seuls ! Je me demande ce que va devenir mon pays ! » En entendant le nom de Giraud, il redouble de violence : « C'est un enfant ! Il est tout juste bon à faire un général de division ! » Puis, après avoir rappelé qu'il a prêté serment au maréchal Pétain et ne peut agir sans son assentiment, il demande à lui rendre compte et attendre ses instructions. Il cherche ainsi à gagner du temps afin de juger si l'opération de débarquement alliée est crédible et quel sera le potentiel de riposte de l'Axe. La réponse officielle de Pétain dans la matinée du 8 novembre sera : « ... A la force, nous répondrons par la force. »

Pendant la longue nuit et l'aurore qui point, les organisations résistantes d'Alger ont de plus en plus de mal à maintenir leur pression. Murphy s'inquiète, les Américains auraient dû apparaître vers 2 heures 30. Il est 6 heures 30 et on attend toujours. Soudain, la situation se retourne et les conjurés doivent céder les uns après les autres. Le lieutenant Jean Dreyfus est tué à la Grande Poste. Le capitaine Pilafort sera le dernier à résister et s'écroulera mortellement blessé à 14 heures 30. Il n'empêche, la neutralisation d'Alger aura permis à des forces alliées totalement inexpérimentées de prendre pied et de s'établir sans opposition.

Enfin, vers 15 heures Darlan rend à son tour visite à Murphy qui est placé sous haute surveillance au domicile de l'amiral Fénard. L'invasion alliée n'est pas une chimère mais revêt au contraire tous les aspects d'une offensive de vaste amplitude. Darlan demande à Murphy d'aller au devant du général Ryder. Ce dernier accepte d'accompagner Murphy au fort l'Empereur. Un cessez-le-feu limité à l'Algérois est sonné dès le 8 novembre à 17 heures 20, puis confirmé par convention verbale à 18 heures 40.

Le lendemain à 17 heures 30, un raid aérien allemand limité à une trentaine de « Stukas » se déroulait sur la rade et quelques navires étaient atteints au milieu d'une immense armada. Il permettait à Darlan d'apprécier le rapport de forces et de mesurer la faiblesse de la « Luftwaffe » face aux escadrilles de « Hurricane » immédiatement dépêchées de Maison-Blanche. L'opération d'Alger s'achevait avec un minimum de pertes : 13 tués dans les rangs des troupes françaises et 2 parmi les résistants. Les pertes anglo-américaines légèrement plus importantes avaient pour cause principale le malencontreux commando du port. Aucun avion et aucun navire n'avaient été détruits. Seuls deux sous-marins avaient regagné Toulon.

Tract largement diffusé en <BR>Afrique du Nord <BR>le 8
novembre 1942.

(Tract largement diffusé en
Afrique du Nord
le 8 novembre 1942.)



Ombre et lumière

Le 9 novembre, quand Giraud se pose sur l'aérodrome de Blida, il arrive en quelque sorte après la bataille ; personne n'est là pour l'accueillir, hormis Lemaigre-Dubreuil. N'a-t-il pas d'ores et déjà raté le coche ?

Malgré ses prises de position apparemment pro-allemandes, dans un passé récent, la cote de Darlan remonte aux yeux des Américains. Il semble incarner une sorte de légitimité et se fait respecter par l'armée. Mais alors qu'il paraît seul en mesure d'arrêter les combats, il se donne du temps et tergiverse. Si bien que Clark accouru de Gibraltar lui extorque l'ordre de cesser le feu « au nom du maréchal ». La réaction publique de Pétain est immédiate et sans équivoque : Darlan est désavoué, destitué et remplacé par Noguès. Mais l'ordre de combattre jusqu'au bout lancé par Vichy n'est-il pas de pure forme ? Déjà les combats ont virtuellement cessé. Les grands procès d'après-guerre tendront à établir que Darlan aurait obtenu en sous-main l'approbation de Pétain pour un cessez-le-feu, suivi d'une coopération avec les Alliés. Méandres du double jeu ?

Pour de Gaulle, l'affaire se présente mal. Le président Roosevelt se méfie des idées politiques du chef de la France libre et déteste son arrogance. Il estime que son défi au gouvernement de Vichy et sa participation aux côtés des britanniques dans les affaires de Dakar, Syrie et Madagascar l'ont coupé des officiers français légalistes, y compris ceux qui n'attendent qu'une occasion pour reprendre les armes contre l'Axe. Il insiste donc très fermement auprès de Churchill afin que de Gaulle soit tenu totalement à l'écart du projet « Torch ». « Je crains — précise Roosevelt à Churchill — qu'une intervention du général de Gaulle ne puisse nuire aux espoirs que nous avons de rallier une importante fraction des forces françaises d'Afrique à notre cause. En conséquence, j'estime inopportun que vous lui donniez le moindre renseignement concernant « Torch » avant d'apprendre le succès des débarquements. Vous pourriez lui dire alors que le commandement américain d'une expédition américaine a exigé le secret le plus absolu dans un souci de sécurité, et ce, avec mon accord ».

Comme quoi, si « tous les chemins mènent à Rome », le détour par Londres paraissait superflu à Roosevelt parfaitement informé par Murphy. Mais les choses n'en resteront pas là et la suite ne tardera pas à nous en apprendre

(A suivre)

Georges BOSC

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Message du PRÉSIDENT DES ÉTATS-UNIS



« Mes amis, vous qui souffrez jour et nuit sous le joug écrasant des nazis, celui qui vous parle était un de ceux qui était avec votre armée et votre marine en France en 1918. J'ai eu pendant toute ma vie la plus profonde amitié pour le peuple français — pour tout le peuple français. Je conserve et j'apprécie l'amitié de centaines de Français en France et hors de France. Je connais vos fermes, vos villages et vos villes. Je connais vos soldats, vos professeurs, vos travailleurs. Je sais quel héritage précieux sont pour le peuple français vos maisons, votre culture et les principes de la démocratie.

Je salue et je proclame ma foi dans la liberté, l'égalité, la fraternité. Il n'y a pas deux nations qui soient plus unies par les liens historiques et amicaux que le peuple français et américain. Les Américains, avec l'aide des Nations Unies luttent pour la sécurité de leur propre avenir, aussi bien que pour la restauration de I'idéal des libertés et de la démocratie et pour tous ceux qui ont vécu à l'ombre du drapeau tricolore.

« C'est pour repousser ces odieux envahisseurs qui veulent vous dépouiller à tout jamais du droit de vous gouverner vous-mêmes que nous venons à vous. Ils veulent vous ôter le droit d'adorer Dieu comme vous l'entendez ou de vivre votre vie en paix et en sécurité. Nous venons vers vous uniquement pour écraser et exterminer vos ennemis. Croyez-moi, nous n'entendons pas vous laire le moindre mal. Nous vous garantissons qu'une fois la menace des Allemands et Italiens écartée, nous quitterons immédiatement vos territoires.

« Je fais appel à votre réalisme, à votre propre intérêt, à vos idéaux nationaux. Je vous prie de ne pas nous empêcher de réaliser ce grand but. Apportez-nous votre aide, mes chers amis, dans toute la mesure où vous le pourrez. Ainsi nous verrons resplendir le jour glorieux où la liberté et la paix régneront à nouveau sur le monde. « Vive la France éternelle. »

Tous ceux qui eurent la chance d'être à l'écoute de la B.B.C. en français ce matin du 8 novembre, à 5h15, heure où les nouvelles étaient les moins brouillées, ressentirent une émotion profonde et se sentirent envahis d'une espérance si intense qu'elle en était douloureuse. Puis, jusqu'à l'aube le message fut répandu en feuilles minces par la R.A.F. sur les principaux centres de la France métropolitaine et de l'Afrique du Nord.



« A l'Armée d'Afrique »

Depuis deux ans, vous avez scrupuleusement appliqué les conventions d'armistice... Aujourd'hui l'Allemagne et l'Italie veulent occuper l'Afrique du Nord. L'Amérique les prévient et nous assure de son appui loyal et désintéressé. Il nous est interdit de laisser passer cette chance inespérée de relèvement.

Je reprends parmi vous ma place de combat... Nous n'avons qu'une seule passion, la France... qu un seul but : la Victoire... L'Armée d'Afrique tient entre ses mains le Destin de la France. »

Général Henri GIRAUD

Proclamation adressée à l'Armée d'Afrique le 8 novembre 1942 et diffusée de 6 à 8 heures sur les ondes de Radio-Alger par Tarbé de Saint Hardouin au nom du général Giraud.



(A SUIVRE)