Né à Châteaudun-du-Rhumel près de Constantine, où son père était pharmacien, Gaston Richier, ancien interne des hôpitaux d'Alger, diplômé pharmacien en 1932, était installé à Alger. Personnalité marquante de la profession et de la cité, il fut président du conseil régional et membre du Conseil national de l'Ordre des pharmaciens et délégué à l'Assemblée algérienne. Pharmacien-colonel honoraire, secrétaire général puis président de l'Association des pharmaciens de réserve de la Xème région militaire, Gaston Richier est tout désigné pour évoquer le souvenir des pharmaciens de l'Armée d'Afrique. (1 )
Le corps expéditionnaire français, fort de 37.000 hommes, quitta Toulon le 25 mai 1830, sous les ordres du général de Bourmont. Une attention toute particulière avait présidé à l'organisation du Service de santé, qui comprenait 89 pharmaciens sous les ordres de Charpentier, pharmacien en chef, assisté du pharmacien principal Juving et des 10 pharmaciens majors placés à la tête du service pharmaceutique des diverses formations sanitaires : hôpital de base de Mahon, cinq hôpitaux d'Afrique, magasin des médicaments, ou en réserve. Ces officiers avaient déjà un long passé militaire, la plupart avaient fait campagne en Espagne ou en Italie, pays méditerranéens dont le climat est voisin de celui de l'Algérie. Certains même, Juving, Sauret, Borde, Herbin, avaient une expérience coloniale acquise en Morée. Le personnel pharmaceutique comportait en outre 20 pharmaciens aides-majors et 57 pharmaciens sous-aides-majors.
Parmi les médicaments emportés, dont l'étal figure aux Archives du ministère de la Guerre, on peut retenir 7 kg de « Kinine» (sulfate de quinine), dont l'efficacité contre les fièvres intermittentes était déjà bien connue, du laudanum pour les dysenteries, de l'ammoniaque et des cautères pour les morsures (sic) de scorpions et de serpents, et 8.000 sangsues, dont la plupart moururent durant le trajet. Les pharmaciens du corps expéditionnaire assurèrent avec beaucoup de zèle et le dévouement des fonctions très lourdes dans des conditions précaires. Deux mois après le débarquement, six pharmaciens gravement malades avaient dû être évacués. Au 16 août 1830, 78 pharmaciens étaient présents au corps expéditionnaire. L'augmentation d'effectif de l'hôpital de Mahon, l'ouverture de nouveaux hôpitaux (hôpital des Turcs, hôpital Caratine, hôpital Bab-Azoun, hôpital de l'Agha) et l'organisation d'expéditions sur Bône et sur Oran, avaient nécessité une nouvelle répartition du personnel.
En décembre 1830, le nombre des pharmaciens de l'Année d'Afrique était réduit à 33 : un principal, quatre majors, huit aides-majors et 20 sous-aides-majors. Le pharmacien en chef Charpentier allait reprendre en février 1831 ses fonctions de professeur à l'hôpital militaire d'instruction de Lille. Il était remplacé par son adjoint Juving, qui devait mourir du choléra en 1835. Six pharmaciens majors quittèrent également l'Algérie au début de l'année 1831 ; parmi eux Herbin et Horeaux devaient revenir en Algérie en 1837 et 1838. L'effectif du corps pharmaceutique militaire en Algérie allait subir par la suite de multiples variations. Il était de 39 au début de 1830, mais fut peu après abaissé à 20, l'ordonnance du 12 avril 1836 ayant supprimé les pharmaciens sous-aides-majors. Il remonta sensiblement pour atteindre les chiffres de 34 en 1840 et de 48 en 1841. C'était encore insuffisant pour faire face aux besoins de 22 hôpitaux particulièrement importants, pendant les épidémies de choléra qui sévirent à plusieurs reprises, pour assurer le fonctionnement du dépôt de médicaments et de diverses ambulances, et enfin, pour ravitailler en médicaments les colons installés en Algérie ainsi que la population indigène. Lorsque le pays fut organisé au point de vue sanitaire et administratif, lorsque des pharmacies civiles hospitalières ou privées furent installées en divers points du territoire, la tâche des pharmaciens militaires fut considérablement diminuée. Leur nombre fut restreint, trop restreint même eu égard aux besoins. L'activité des pharmaciens militaires en Algérie ne s'est pas exercée seulement dans les ambulances ou les hôpitaux de campagne, mais encore dans un grand nombre d'hôpitaux militaires et dans divers établissements pharmaceutiques.
Vers 1875, on rencontrait un hôpital militaire dans la plupart des
centres urbains :
- dans la province d'Alger, à Aumale, à Blida, à
Boufarik, à Coléa, à Douera, à Laghouat, à Médéa, à Miliana, à
Orléansville, à Ténès, à Téniet el Haad ;
- dans la province de
Constantine, à Constantine, à Batna, à Biskra, à Bône, à Bougie, à
Djidjelli, à Guelma, à Philippeville, à Sétif ;
- dans la province d'Oran,
à Oran, à Marnia. à Mascara, à Mostaganem, à Sidi Bel Abbès, à Tlemcen.
Par la suite, beaucoup de ces hôpitaux sont passés sous contrôle civil
ou ont été désaffectés.
L'intendant civil Genty de Bussy, qui avait la responsabilité de l'hygiène et de la santé dans la Régence, signa, le 12 septembre 1832, un décret instituant à Alger un jury de médecine appelé à examiner et à recevoir les candidats français et étrangers aspirant à devenir pharmaciens. Ce jury, composé d'un médecin, d'un chirurgien et de trois pharmaciens militaires, pouvait délivrer un diplôme de pharmacien permettant d'exercer la pharmacie dans la Régence d'Alger. En 1833, grâce aux efforts de Baudens, un hôpital militaire d'instruction fut installé dans l'ancienne maison de campagne du dey Hussein sise au pied de la colline de Bouzaréah. Dans cet hôpital, dit du Dey, une salle de conférence, un laboratoire de chimie et un jardin de plantes médicinales étaient affectés à l'enseignement pharmaceutique. Le pharmacien chef avait le titre de premier professeur, et le pharmacien adjoint, celui de deuxième professeur. Ils devaient assurer des cours de botanique, des cours de matière médicale, des cours de pharmacie chimique et de chimie médicale ainsi que l'étude pratique de la préparation des médicaments.
Les étudiants turcs, maures et juifs étaient autorisés à suivre ces cours. L'Ecole d'instruction fut supprimée en 1838, mais la procédure de réception au grade de pharmacien fut maintenue jusqu'en 1851. Un décret du 12 juillet 1851 institua des jurys médicaux dans chaque province pour recevoir les pharmaciens désireux d'y exercer la profession. Chacun de ces jurys comprenait quatre pharmaciens militaires ou civils. C'est ainsi que Millon et Dieu de l'hôpital du Dey et Duplast, de l'hôpital de Médéa figureraient dans le jury de la province d'Alger, Rivière et Coulet, de l'hôpital militaire de Constantine, dans celui de la province de Constantine. Lorsqu'une école préparatoire de médecine et de pharmacie fut créée à Alger, en 1859, plusieurs médecins et pharmaciens militaires furent appelés à participer à l'enseignement.
En ce qui concerne le contrôle de la pharmacie civile, dès 1835, une commission de trois professeurs de l'hôpital militaire d'instruction fut chargée d'authentifier les diplômes des médecins et des pharmaciens s'installant en Algérie, et de procéder à la visite des officines de pharmacie. Elle fut remplacée, en 1851, par les jurys médicaux provinciaux, déjà cités, dans la visite des pharmacies, des herboristeries et des drogueries, et cela, conformément aux dispositions de la loi de Germinal. Ces prérogatives des pharmaciens militaires furent peu à peu abandonnées au profit de pharmaciens civils. D'autres tâches non obligatoires mais bien dans leur compétence, allaient retenir leur attention. Il importait, dans un pays mal connu, d'inventorier, de prospecter, d'analyser et de développer des ressources naturelles, et d'essayer d'en créer de nouvelles par l'introduction de cultures susceptibles de s'acclimater. L'œuvre des pharmaciens militaires dans les domaines divers : scientifique, technique, agricole, industriel et économique, fut immense. Chacun intervint peu ou prou, selon ses goûts, selon ses connaissances, selon ses aptitudes et selon les circonstances. Il en résulte un magnifique travail d'ensemble, dont nous allons exposer les grandes lignes, en présentant les hommes qui se sont le plus distingués. Si certains restent dans l'ombre, ils n'en ont pas moins participé à l'œuvre commune, car tous firent leur devoir.
Le dépôt de médicaments du Service de santé militaire installé à Alger en 1830 fut transformé peu après en Pharmacie centrale de l'armée. Cet établissement fonctionna d'abord à l'hôpital Caratine, puis il fut transféré dans une mosquée désaffectée (qui devint l'église Notre-Dame-des-Victoires, rue Bab-el-Oued), et, en 1840, dans une ancienne caserne de Janissaires. Il avait pour fonction d'assurer la préparation et la conservation des médicaments destinés non seulement à l'armée mais encore à la population civile par l'intermédiaire des pharmacies des hôpitaux civils et des officines privées. Des altérations inattendues et des détériorations imprévisibles des drogues et des médicaments détenus et livrés par la Pharmacie centrale, inhérentes aux conditions climatiques particulières du pays pendant la saison chaude, ont fait l'objet d'échanges de notes entre l'administration centrale, le gestionnaire de l'établissement et les pharmaciens réceptionnaires des produits. Elles figurent aux Archives de la Guerre et ont été à l'origine de travaux sur la conservation des médicaments dans les pays chauds. La Pharmacie centrale devint ensuite Pharmacie régionale et fut annexée à la pharmacie de l'hôpital du Dey, tandis que des pharmacies divisionnaires étaient créées dans les hôpitaux militaires de Constantine et d'Oran.
Peu avant la dernière guerre mondiale, une Pharmacie générale de l'armée s'établissait dans le casernement d'infirmiers de l'hôpital Maillot (ex-hôpital du Dey) ; elle bénéficiait d'un équipement moderne lui permettant de fabriquer des ampoules, des comprimés et d'autres préparations destinées aux besoins de l'Armée en Afrique du Nord. Elle devait rendre d'immenses services pendant la conflagration qui suivit. En 1852, fut créé à Alger un Laboratoire central d'analyses pour l'exploitation des ressources territoriales et le développement des tentatives industrielles. Tous les pharmaciens militaires servant en Algérie devaient y faire un stage. Il fut remplacé par un laboratoire régional installé à l'hôpital du Dey et annexé à la Pharmacie ; d'autre laboratoires furent aménagés dans la plupart des hôpitaux militaires.
Les pharmaciens militaires se préoccupèrent de la récolte et de la culture des plantes médicinales. Des jardins de simples furent aménagés dans de nombreux hôpitaux. En 1842, l'hôpital du Dey fournit 20 kg de scille, 32 kg de bourrache, 325 kg de mauves, 25 kg de fleurs d'oranger, 12 kg de centaurée, etc. Au début de 1851, Millon proposa la conversion des jardins maraîchers du Dey en jardins botaniques : 33 hectares de culture de plantes médicinales, un demi-hectare pour essais d'acclimatation et un demi-hectare en jardin botanique proprement dit, réservé aux plantes du pays.
Pour l'élevage des sangsues, dont on faisait grand usage à l'époque, des viviers furent installés à Boufarik par Faseuille ; ils furent perfectionnes par Claude. Ils pouvaient recevoir 200 000 annélides. Cette capacité permettait tout juste de satisfaire aux besoins des hôpitaux : 240 553 pour celui d'Alger; 240 834 pour celui de Douera, et 112 100 pour celui de Bone en 1838... Des études et des expériences nombreuses furent faites au Laboratoire central d'Alger pour éviter la mortalité importante qui frappait ces animaux. La sangsue algérienne dite dragon s'avéra plus résistante.
A leurs préoccupations professionnelles el techniques dans le cadre militaire et civil, les pharmaciens militaires devaient ajouter diverses charges particulières, notamment l'instruction des futurs pharmaciens et le contrôle de la pharmacie civile.
On se doit d'évoquer d'abord la mémoire de ceux qui sont tombés victimes du climat, de la maladie, des épidémies et des coups du sort. Les épidémies de choléra, les fièvres, la dysenterie, firent de nombreuses victimes dans les rangs des pharmaciens militaires. La liste en serait très longue et certainement incomplète, mais un hommage global doit leur être rendu.
L'œuvre scientifique des pharmaciens militaires du corps expéditionnaire d'Afrique pourrait paraître assez réduite, car un certain nombre d'entre eux ne firent en Algérie qu'un bref séjour et s'illustrèrent par la suite, tel Antoine Poggiale, qui devait devenir une des grandes figures de la pharmacie militaire. D'autres, absorbés par de lourdes tâches professionnelles, n'ont pu s'intéresser aux ressources du pays. Néanmoins on peut citer Horcaux, pharmacien principal de 1833 à 1848, qui publia ses notes d'hygiène militaire ; Thiriaux, pharmacien et médecin, qui fit de nombreuses explorations botaniques et ouvrit la voie dans la connaissance de la flore de l'Algérie, dans laquelle il devait être suivi par plusieurs de ses collègues ; Hertcuil servit en Algérie de 1830 à 1841, il a publié un ouvrage en deux volumes sur l'histoire, les mœurs, les coutumes, l'industrie et l'agriculture de l'Algérie française (1856) ; Marie, mort du choléra en 1835, a étudié les eaux de Hammam Mélouane. Meurdcfroy a étudié les sangsues dont Faseuille et Claude s'occupèrent à Boufarik.
Mentionnons encore Roussel, pharmacien en chef et professeur à l'hôpital d'instruction d'Alger, Estienne, qui s'intéressa aux minerais algériens, Tripier, qui étudia les gites métallifères, les charbons fossiles, les eaux minérales... et publia un mémoire magistral sur les eaux de Hammam Mes-koutine. Retiré à Cherchell. il y mourut en 1876.
Jeannel passa deux années en Algérie : 1840 et 1841. Il joua un rôle particulier au siège de Médéa en 1840. La garnison, forte de 2 000 hommes et de 500 têtes de bétail, manquait de vivres... et de fourrage. Il fallait sacrifier les bètes. Jeannel proposa au général Duvcyricr. qui commandait la place, de faire des conserves. Faute de sel, il dut faire de la viande fumée et des tablettes de bouillon ; il utilisa pour cela les chaudières des bains maures qu'il alimenta avec du bois provenant de maisons démolies. Cette mesure permit à la garnison de subsister et valut au jeune pharmacien une lettre élogieuse du maréchal Soult, ministre de la Guerre.
Eugène Millon, né à Châlons-sur-Marne en 1812, est le personnage le plus marquant parmi les pharmaciens de l'Armée d'Afrique. Dans le domaine de l'alimentation, il fut le digne successeur de l'annentier, et le précurseur de Ralland. Après un séjour de quelques mois en Algérie, en 1835, pendant lequel il participa à la lutte contre l'épidémie de choléra, il fut revu médecin (août 1836). Mais, attiré par la chimie, il s'orienta, à la fin de 1837, vers la pharmacie. Après divers postes en province, il accédait, le 19 mars 1841, à la suite d'un brillant concours, au titre de professeur de chimie au Val-de-Grâce. Il s'était déjà distingué par des travaux scientifiques de valeur lorsque, brutalement, il fut envoyé, en 1847, en disgrâce à l'hôpital militaire d'instruction de Lille. Irrité par une telle mesure, il s'adonna à l'étude de questions agricoles, économiques et sociales, et devint un ardent publiciste. Ses opinions libérales inquiétant le gouvernement, il fut muté à Alger en 1850. Il poursuivit ses recherches sur le blé commencées à Lille. Il envisagea la création d'un institut algérien, destiné à substituer à la pratique routinière et empirique des Arabes, tant dans l'agriculture que dans certains travaux artisanaux, les bienfaits de la technique française.
Cet institut ne vit jamais le jour. Mais, savant hors de pair, d'un esprit génial et brillant, Millon fut le guide et le conseiller écouté et désintéressé de tous, de l'Européen et du Musulman, du dernier des fellahs ou des artisans jusqu'aux gouverneurs Pélissier et Vaillant.
Millon a marqué l'agriculture et l'industrie algériennes d'une empreinte ineffaçable. Toutes les ressources, toutes les productions du pays ont retenu son attention : il améliora les conditions de détention des grains qui s'altéraient dans les silos arabes humides et perméables ; il perfectionna les méthodes de mouture indigène ; il mit au point des techniques de vinification ; il étudia la qualité des laits d'Algérie ainsi que les conditions de leur production et de leur vente ; il analysa de nombreuses eaux potables ou minérales ; il s'intéressa à la production et au commerce des sangsues, aux différentes questions d'hygiène générale ; il s'efforça de développer la culture des plantes aromatiques et d'obtenir une meilleure extraction des parfums.
A proximité de l'hôpital du Dey, sur la route de Bouzaréah, dans un ravin pittoresque qu'il appelait le Frais Vallon, il avait établi une petite ferme où il passait ses rares moments de loisirs. En 1805, lorsqu'il prit sa retraite, il partit pour Paris, afin de reprendre les travaux de chimie qu'il avait dû interrompre. Il devait y mourir en 1807, à cinquante-cinq ans. Lors de la publication des résultats de l'analyse de l'eau ferrugineuse froide du Frais Vallon, qui jaillissait près de sa ferme, il exprima des idées hardies sur la possibilité d'utiliser les propriétés thérapeutiques des eaux minérales algériennes, déjà connues des Romains, mais tombées dans l'oubli. Millon n'était pas seulement le chimiste avisé que beaucoup connaissent. Il était aussi un économiste éminent, un technicien habile et un apôtre convaincu des réformes sociales. Au cours des quinze années passées en Algérie, il a apporté une contribution immense a l'œuvre économique et sociale de la France en ce pays.
Plusieurs pharmaciens militaires apportèrent leur concours à l'enseignement : Roucher, affecté en Algérie en 1858, fut le premier professeur de chimie de l'Ecole de médecine et de pharmacie, il est mort à Alger en 1875 ; Roussin, qui avait pris part à l'expédition de Kabylie en 1854, devint professeur de chimie et de toxicologie au Val-de-Grâce en 1857 ; Bourlier, nommé professeur à l'Ecole de médecine et de pharmacie d'Alger en 1859, fut élu député d'Alger et défendit énergiquement la cause de l'Algérie à la chambre ; Jaillard, pharmacien et médecin, brillant chimiste, toxicologue et hygiéniste averti, occupa lui aussi la chaire de chimie à l'Ecole d'Alger ; Fleury fut nommé dans cette même école professeur de pharmacie et de matière médicale en 1890 et Pastureau, après deux séjours en Algérie, devint doyen de la Faculté de pharmacie de Nancy.
Tous ces enseignants se sont livrés à d'importants travaux de recherche, mais nombre de leurs collègues, non enseignants, n'en ont pas moins effectué d'estimables études scientifiques.
Balland occupe une place éminente parmi ces derniers. Ayant servi six ans en Algérie, de 1874 à 1880, il mit sa science au service du pays dans les domaines les plus divers : chimie appliquée, chimie alimentaire, chimie végétale, hydrologie, hygiène, etc. Il s'intéressa également aux vestiges de l'Antiquité (œuf d'autruche découvert au colombarium de Gouraya, formation de zigueline et de malachite sur d'anciennes monnaies romaines, altération de monnaies d'or trouvées à Orléansville).
Certains, tel Lahache qui, entre 1890 et 1902, participa à plusieurs expéditions au Sahara, ont apporté une importante contribution à la connaissance hydrologique du désert (Touggourt, Aïn Taïba, Tidikelt) et à la conservation des médicaments dans les pays chauds. Breteau, en poste à Aïn Sefra, étudia les eaux de cette région.
D'autres enfin, dont les noms sont moins connus, se sont, eux aussi, penchés sur l'étude de questions relatives à l'Algérie, où ils ont accompli une partie de leur carrière, étudiant les eaux d'alimentation de Bône, Constantine, Orléansville, Laghouat, des puits artésiens de l'Oued Rhir, du Sud Oranais, des Béni Abbés, etc., les eaux minérales et thermales de Hammam Rhira, Hammam Meskoutine, Hammam Salahine, de Takitount, etc., les ressources minérales dignités de Djidjelli, sel gemme de Djelfa...) ; la flore et la faune algériennes ; les productions végétales (culture de la betterave, du sorgho, nombreux travaux sur les vins...) ; les drogues et la pharmacologie arabes ; les problèmes de toxicologie et l'hygiène (empoisonnement par le sulfure d'arsenic, par l'étain, action des eaux de Sétif sur le plomb, etc.) ; des questions de chimie et d'agriculture (punaise des blés, par exemple).
Plus près de nous, les pharmaciens militaires affectés en Algérie ont accompli leurs tâches professionnelles et leur rôle d'analyste et d'expert sans toujours publier les résultats de leurs observations, de leurs recherches et de leurs expériences. Leurs rapports figurent aux archives du Service de santé. Lors de la Seconde Guerre mondiale, et surtout après le 8 novembre 1942, ils ont eu la lourde responsabilité, sous la haute autorité du pharmacien colonel Bobier, d'approvisionner en médicaments les troupes du territoire et du corps expéditionnaire d'Italie. Avec l'aide des pharmaciens militaires de réserve, il ont dû mettre au point des fabrications nouvelles et s'adapter aux médicaments de la pharmacopée américaine.
Alors qu'Alger était la capitale de la France en guerre, le médecin général inspecteur Vanlande, directeur du Service de santé des armées, ayant dans ses effectifs un certain déficit en caducées rouges et un excédent en caducées verts, décida de confier à quelques pharmaciens des taches d'état-major lui permettant de récupérer des médecins pour des taches médicales. C'est ainsi que l'un d'entre nous devint, après une période a instruction, adjoint au chef du 3ème bureau, à la direction générale du Service de santé (organisation, hospitalisation, évacuation) et fut plus spécialement chargé des fonctions de régulateur des évacuations sanitaires de l'armée pendant les campagnes de Tunisie, d'Italie, puis, à la Libération du territoire national, en France et en Allemagne. Les navires-hôpitaux évacuant les très nombreux blessés pendant la campagne d'Italie arrivaient a Oran et non pas à Alger, pour des motifs politiques évidents. A Oran, c'est également un pharmacien qui avait en charge ces problèmes.
Tous les pharmaciens militaires d'active et de réserve, ces derniers provenant presque tous de la faculté d'Alger, ont accompli pendant la Seconde Guerre mondiale leur tâche avec une haute conscience et une grande efficacité, que ce soit dans les unités de l'avant, dans des hôpitaux plus importants, dans les laboratoires de l'Armée, ou dans diverses formations du Service de santé.. Certains ont fait le sacrifice de leur vie. Deux d'entre eux étaient particulièrement connus comme joueurs du Racing universitaire d'Alger : Purandeu, tombé devant Sienne. Roque, disparu au cours d'une mission aérienne de bombardement.
En conclusion, il convient de souligner que les pharmaciens militaires qui ont servi en Algérie ont rempli leurs fonctions avec un dévouement, une compétence et un zèle exemplaires, pourvoyant en toutes circonstances aux besoins en médicaments de l'armée, mais aussi de la population civile dans des conditions parfois difficiles ; qu'ils ont été des collaborateurs avisés des hygiénistes militaires en analysant les eaux potables et les denrées destinées à la troupe, en organisant et en dirigeant la lutte contre les parasites vecteurs des affections endémiques et épidémiques ; ils ont inventorié, prospecté, étudié et analysé les ressources naturelles et participé à l'amélioration de certaines cultures indigènes ou acclimatées, ainsi qu'au développement de l'industrie et de l'artisanat.
Ils ont étendu les bienfaits de la science et de la technique dans différents domaines. Ils ont déterminé et ouvert la voie dans laquelle il convenait de s'engager pour donner à l'économie algérienne tout son essor. Ils ont œuvré en étroite et confiante collaboration avec les autorités militaires, avec les autorités civiles, ainsi qu'avec leurs camarades médecins et autres officiers du Service de santé militaire. Ils ont contribué à la connaissance du pays et à sa mise en valeur. Ils ont ainsi acquis des titres à l'admiration et à la reconnaissance de la France.
En terminant, qu'il nous soit permis de rendre hommage au professeur Robert Monnet, professeur de pharmacie chimique à la faculté d'Alger, fondateur et premier président de l'Amicale des pharmaciens de réserve de la Xème région militaire, aujourd'hui disparu.
Toute la documentation de l'exposé qui précède, provient d'une remarquable conférence qu'il avait prononcée au cours d'un congrès de la Fédération nationale des pharmaciens de réserve à Alger.