EXODE

Sur un quai sans ombrage, où vibre la chaleur,
Piétine en rangs serrés une foule mêlée :
Des vieillards chancelants, exposant leur pâleur
Aux rayons d'un soleil qui les brûle d'emblée ;
Des enfants manquant d'air, pressés de tous côtés,
Souffrant de la moiteur dans des habits crottés ;
Des femmes aux regards agrandis par l'angoisse,
Quelques-unes portant un nourrisson qui dort,
Les vêtements fripés d'un séjour sans confort,
Les cheveux décoiffés que la sueur empoisse.

Les hommes moins nombreux, ayant l'air d'être absents,
Fermés à la rumeur, lourds d'informes valises
Qui leur tirent les bras et les adolescents,
Voûtés par un chagrin qui les démoralise,
Gardent les yeux baissés sur leurs âpres rancoeurs.
Leurs lèvres, comme un trait, scellant leur crève-coeur,
Ils se joignent muets à la longue colonne
Qui, d'une marche atone, avance pas à pas,
Voulant ne plus penser à d'odieux trépas,
Alors qu'à chaque instant la rage les talonne.

Hors d'un hangar où l'air est l'haleine d'un four,
Qui leur servit d'abri en de longues journées
Et des nuits sans sommeil, quand les bruits alentour
Faisaient naître soudain des peurs irraisonnées,
Ils vont vers la muraille abrupte d'un bateau.
Mais posant à leurs pieds un malheureux fardeau,
Avant que de gravir la passerelle oblique,
Ils relèvent les yeux, ces obscurs passagers,
Et regardent flotter des drapeaux étrangers
Aux sommets familiers des bâtisses publiques.

Ils partent découvrir un rivage inconnu,
Mais pour quelle autre vie et quelle autre espérance,
Un pays qui est leur, mais qu'ils n'auront connu
Qu'à travers une guerre ou l'intime attirance,
En laissant derrière eux leurs biens, leurs souvenirs.
Dépouillés et pourtant songeant à l'avenir,
Ils renouvelleront l'oeuvre de leurs ancêtres,
Sous un autre climat, un horizon nouveau,
Car ils ont un amour plus fort pour leur drapeau,
Que l'amour de ce sol qu'ils portent dans leur être.

                         Le 11 février 1998