CONFIDENCES


Rien qu'une seule fois, j'aurais aimé revoir,
En face de la baie, au flanc d'une colline,
Une villa mauresque assez plaisante à voir,
Blanche dans la verdure, au bord d'une ravine.
Du haut de sa terrasse, offerte à tous les vents,
J'ai contemplé ma ville et rêvé bien souvent.
En dépit des chagrins, c'est là que mon enfance
Et ma jeunesse pauvre ont connu des plaisirs
Et de simples bonheurs, de modestes loisirs,
Dont je garde toujours la douce souvenance.

Ma ville me semblait plus belle que le jour,
Quand le soir y jetait ses myriades d'étoiles ;
Et la brume estompait, comme d'un abat-jour,
Leur éclat trop brillant dans les plis de ses voiles.
Au milieu de l'hiver, les amandiers en fleurs,
Sur le ciel fabuleux, apposaient leur blancheur
Et l'irréalité des pétales nacrées.
La nuit, dans le silence, à l'abri des grands murs,
Les citronniers tapis dans le jardin obscur
Unissaient aux jasmins leur lourde odeur sucrée.

Quand le vent d'Est hurlait ses accords dissonants,
Enfant j'imaginais être gardien d'un phare
Que la cité houleuse assaillait en grondant,
Ou bien je déclamais, face aux hordes barbares
Et d'une hymne tentais d'apaiser leur fureur.
C'est ainsi que j'étais, tour à tour, naufrageur,
Capitaine au long cours, martyr ou missionnaire,
Que je mourrais de soif dans de brûlants déserts.
Mais de tous ces exploits je n'étais pas disert,
Car je vivais pour moi ce monde imaginaire.

Je devins romantique étant adolescent,
Poète tourmenté, rongé d'incertitude,
Poursuivant un amour toujours évanescent,
Chimère qui peuplait ma chère solitude.
Mais la beauté des ciels, la mer haute en couleurs,
L'ivresse des parfums et les soirs enjôleurs.
Eurent bientôt raison de ma mélancolie.
La lune avait perdu sa blafarde froideur
Et donnait à la nuit sa vivante splendeur,
La nature évinçait mon ancienne folie.

J'ai quitté ma demeure, un jour sans un regret,
Quand l'amour m'eut conduit à vivre une autre vie.
Ma joie était le fruit d'un bonheur si concret,
Qu'en moi son souvenir n'éveillait nulle envie.
Et c'est dans notre exil, au fil des jours amers,
Pour ne pas perdre pied durant les longs hivers,
Que j'ai vu refleurir, au coeur de ma mémoire,
La maison où, enfant, j'ai pu m'épanouir,
Avant que l'âge adulte ait fait s'évanouir,
Comme la brume au vent, ce refuge illusoire.



17 juillet 2000