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NELLY FLOIRAT         



ANTIQUE TIPASA...



« Je retrouvai exactement ce que j'étais venu chercher et qui, malgré le temps et le monde, m'était offert, à moi seul vraiment, dans cette nature déserte. »

Camus, « L'été »



Novembre 1983 à Tipasa, le gardien qui est là depuis trente-neuf ans et a connu M. Leschi, directeur des Antiquités, nous montre avec beaucoup d'explications la basilique de Saïnte-Salsa : le baptistère, où pousse un figuier, le tombeau de la sainte, palmes et fleurs gravées, la table des agapes, la nécropole au bord de la mer. Les tombes de pierres sont fleuries de cyclamens... et je n'ai pas mon déplantoir ! « Cueille tout ce que tu veux ! »

Hélas ! il est près de cinq heures. Nous ne pourrons pas voir à loisir l'autre partie des ruines qui est au-delà du port : le forum, les temples, l'allée qui mène à la mer, au port d'autrefois et d'où l'on voit, sur la colline proche, les ruines de la ville antique dominée par le Chenoua.

C'est le plus bel endroit que j'aie jamais vu, là, au bord de la mer latine. J'aimerais y revenir pour m'y promener à loisir, en imaginant...





Maison à Tipasa - Au fond le Chenoua.



La basilique.





Dimanche de Pâques, 22 avril 1984, la mer est bleu pâle, toute lisse, le ciel est pur. Nous partons de bonne heure vers l'ouest par la route côtière, fleurie de ces belles marguerites de printemps, du blanc au jaune, par champs entiers.

Le coucou chante dans les pins au tombeau de la Chrétienne — on a vu une croix sur les portes, d'où le nom — et l'asphodèle fleurit les pierres. Scilles, fleurs d'ail, cistes... une bande de chardonnerets et le chant du jour du rossignol.

Nous entrons dans le tombeau par la porte de l'est. Le gardien allume l'électricité. Deux lions en relief à l'entrée du couloir bas qui donne accès au long couloir à la voûte annulaire menant en colimaçon, au centre, à la chambre du tombeau. Vide. Le tombeau dit de la Chrétienne était-il pour Cléopâtre Séléné, fille de Cléopâtre, épouse de Juba II, roi de Numidie ? Mais ce tombeau est une « basina » d'avant Jésus-Christ. On ne sait qui y a été enterré.

Le gardien nous photographie. En partant, je prends des boutures de romarin.

Quel beau jour de Pâques ! Le Chenoua dans la brume légère du matin, la côte et ses plages, la route à travers les pins...

A Tipasa, nous allons d'abord au port où se trouve une tombe phénicienne. Des aubriètes mauves tapissent les rochers. Puis un joli petit musée au patio fleuri de roses-chou, de géraniums et d'un arbuste inconnu de moi avec ses petits fruits jaunes. Stèles puniques dont une avec personnage tenant grappe et colombe, une petite boucle d'oreille avec le signe de Tanit. Mosaïque de mensa (table d'agapes chrétiennes) avec le chrisme et l'inscription : « INDEO, PAX ET CONCORDIA SIT CONVIVIO NOSTRO ».

Trois stèles de cavaliers avec lance et arc. Mosaïque des prisonniers trouvée à la basilique judiciaire, un merveilleux sarcophage de marbre, celui des centaures, déesses, lo et Jupiter; Au centre, un visage martelé, relief et finesse.

Nous passons à côté d'immenses thermes pour arriver au parc archéologique. Enfin ! nous n'avions eu qu'une heure pour le voir en novembre dernier. Ce matin, par un sentier fleuri, dans le maquis, les oliviers, les eucalyptus et les pins, de quoi l'air est-il parfumé ?

Nous arrivons au nymphée — répartiteur de l'eau de la ville — très vaste, puis au théâtre sous de vieux eucalyptus. L'air est doux, c'est' toute la beauté éclatante du printemps algérien. Une troupe de petites filles revenant de l'école monte avec nous le chemin sablonneux, sous les arbres, conduisant à la grande basilique chrétienne d'où l'on domine tout le site et la mer au pied. J'y cueuille des orchis abeilles. Sur le sentier il y avait des tapis de pâquerettes blanc mauve, très petites et très fines, de petites jacinthes rosé très pâle.



Nécropole de Sainte Salsa.



La basilique de Tipasa est le plus grand édifice chrétien d'Afrique, après Damous-el-Karita de Carthage : neuf nefs séparées par des colonnes et des piliers dont on retrouve les bases. Fragment d'un immense tapis de mosaïque.

A côté de la basilique, le baptistère et les petits thermes des néophytes. Nous redescendons vers le port, mais il faut repartir. Le temps a passé comme un éclair, il est midi.

Iol Caesarea-Cherchell, une route en corniche avec de belles vues sur la mer et la grande plage de Tipasa conduit à Cherchell. Nous nous arrêtons aux ruines de l'aqueduc qui amenait l'eau à lol Caesarea. Au bord de l'oued poussent des trembles, les mêmes arbres à feuillage d'argent que ceux des ruisseaux de ma jeunesse. En ce moment des grappes de chatons s'ouvrent et laissent tomber une bourre cotonneuse qui fait un tapis blanc.

La ville de Cherchell actuelle est construite sur le site de Caesarea qui aurait eu cent mille habitants, deuxième ville d'Afrique après Carthage. Nous allons d'abord voir le port. Sur la droite on voit sous l'eau la trace d'une jetée romaine. La place domine le port et la mer. Partout des marbres antiques servant de bancs, la fontaine centrale est ornée de métopes et de têtes géantes, le tout sous des bellombras, monstrueux moignons. Le jardin public fleuri de dimorphotécas, les bellombras et au fond l'église, en forme de temple dorique, transformée en mosquée.

Entrée du musée sur la place. Il est célèbre par ses sculptures. Merveille que cet Apollon de Delphes, copie de l'art grec dans un marbre translucide



Nymphée.



marbre de Paros — qui souligne la beauté d'un visage pur d'adolescent. L'Aphrodite a été sauvée du four à chaux par un officier français. Précieuse mosaïque chrétienne des deux paons. Le beau visage de Domitia Lucilla. Mais aussi une fruste idole punique. Et pourquoi une statue égyptienne d'un prêtre de Ptah en basalte noir ? Tête de Cléopâtre, mère de Cléopâtre Séléné.

A l'emplacement présumé du palais de Juba II, cet amateur d'art qui nous vaut ces sculptures de l'art grec — copies de Phidias — un musée de mosaïques en plein air, parmi des fleurs éclatantes. Le gardien me donne le premier œillet fleuri et des plants de dimorphothécas, la marguerite du tophet de Carthage. Ça ne prospère guère à Versailles ! Les mosaïstes de Piazza Armerina, en Sicile, étaient africains. C'est dans ce jardin qu'on peut voir la mosaïque-tapis représentant une jonchée de fleurs et de feuillages, très rare, sol d'une pièce de sept mètres, et aussi le chef-d'œuvre de la mosaïque des travaux agricoles ; labours, semailles, vendanges.

Le soir venu, nous rentrons à Zeralda, où se trouve notre hôtel, en traversant les montagnes de l'Atlas tellien avec des vues panoramiques grandioses, massif du Dahra, forêt de chênes verts — petits orchis sauvages et grosses pâquerettes blanches. Descente sur la Mitidja où le vent du soir nous apporte le parfum des orangers en fleurs.

Lundi de Pâques, 24 avril 1984. Un rêve réalisé : toute une matinée au parc archéologique de Tipasa, à flâner à notre gré, sans souci de l'heure. On entendait le chant de jour du rossignol, l'appel de la huppe et le roucoulement si tendre des tourterelles. L'air léger, le ciel bleu comme hier.

Nous avons d'abord exploré le quartier des artisans, vu les cuves de la tannerie, les thermes, puis nous sommes remontés par les casernes et leurs thermes vers la grande basilique. Juste au-dessous, une si jolie crique de galets.

En suivant le chemin qui surplombe la mer, on trouve un reste de tour du rempart et, plus loin, le mausolée circulaire des martyrs, les emplacements des sépultures, semblables aux enfeux des cathédrales et, tout autour, la nécropole des fidèles, « ad martyrium ». Un chemin dans le maquis arrive à la basilique d'Alexandre d'où l'on voit la baie et la longue plage au pied du Chenoua. Puis, à travers le parc sauvage, nous sommes retournés au nymphée. Que de diapos ! Par le decumanus et le cardo nous sommes revenus au port : éclatante au soleil, s'ouvrant sur la mer bleue, cette voie si vite parcourue en novembre au soleil couchant. Ce port était l'escale sur la voie maritime qui longeait tout le littoral africain de Carthage aux Colonnes d'Hercule.

Un riche propriétaire habitait près du port une grande villa. On en retrouve le plan. L'atrium est fleuri d'aloès et d'iris blancs. On voit encore la mosaïque du tricinium. Le chemin monte sur la colline de droite, sous les pins dont je retrouve l'odeur chauffée au soleil. Et toujours la mer...

Nous grimpons jusqu'au forum. La basilique judiciaire est au-dessous. Il fait délicieux sous les pins. Le chemin continue en suivant la côte, nous n'avons pas le temps d'aller plus loin, il va être midi et il faut une fois de plus s'arracher à ces lieux. Mais encore une photo : ces fleurs d'un rosé éclatant sur l'ocre rouge du mur de l'amphithéâtre, près de la sortie.

Derrière nous, le gardien ferme la porte sur cette matinée de joie pure, d'images inoubliables.

Après le déjeuner, nous cherchons en vain le Castellum de Nador, vers l'intérieur. Retour à Sainte-Salsa... avec mon déplantoir ! Mais la folle exubérance des fleurs de printemps et des hautes herbes cache les cyclamens et, quand je trouve enfin les belles feuilles rondes, je ne peux extirper les bulbes trop profonds. Le Grand Pan qui rôde là, au plus chaud du jour, me permet de prélever pourtant un bulbe facile, un seul !

Sainte-Salsa au printemps. Il n'y a pas de mots pour décrire ce site : on marche parmi les fleurs, comme dans une fête de couleurs ; les tout petits iris mauves ou violets me plongent dans le plus pur ravissement : il y en a des tapis, seuls ou bien mélangés au jaune clair des marguerites ou au rosé foncé des luzernes; partout les hautes ombelles jaune vert pâle des férules odorantes qui ressemblent aux fenouils.Tout cela fleurit les pierres des tombeaux, la table des agapes, la basilique. Et la mer clapote en bas et le Chenoua se fait fantôme dans la brume de chaleur.

De là, aussi, il faut partir...



NELLY FLOIRAT



extrait du n° 75 de la revue l'Algérianiste

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extrait du n° 75 de la revue l'Algérianiste