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Eliaou Gaston GUEDJ



CONSTANTINE



« Et voici Constantine, la cité phénomène, Constantine l'étrange, gardée comme par un serpent qui se roulerait a ses pieds par le Rhumel, le fantastique Rhumel, fleuve d'enfer roulant au fond d'un abîme rouge comme si les flammes éternelles l'avaient brûlé. »

GUY DE MAUPASSANT

Le pont suspendu et au fond à droite le monument aux morts.



La ville en 1837

Constantine, l'antique Cirta, est alors une véritable forteresse. Enserrée dans une boucle du Rhumel qui l'entoure sur trois côtés, elle a certes un charme particulier, mais surtout une situation de défense privilégiée. Située à une altitude de 644 m, sur un rocher dominant cette première boucle du Rhumel, l'ancienne ville s'est développée d'une manière étonnante et désordonnée. Un enchevêtrement de constructions, s'appuyant les unes sur les autres dans un désordre indescriptible, lui donne ce cachet attachant et troublant des casbahs d'Afrique du Nord.

Le 6 octobre l'armée de Damrémont s'installe sur les hauteurs du Coudiat. Damrémont est tué le 13. Valée décide d'attaquer Constantine le 14.

En s'engouffrant dans la brèche, les troupes se retrouvent sur le caravansérail devenu plus tard la place des Chameaux. Tout autour est accolé un enchevêtrement de bâtisses s'appuyant les unes sur les autres.

Pour pénétrer dans la ville, il faut vraiment chercher son chemin dans cette masse d'habitations bâties sans logique apparente. La ville découverte à l'instant de la conquête a été préservée en l'état pendant toute la colonisation. Elle déborde de vie, surtout le soir au moment du Ramadan. Les réjouissances populaires sont alors nombreuses, elles ont lieu du coucher du soleil jusqu'à l'aube, lorsque la ville s'endort pour permettre aux hommes de reprendre leur jeûne sans trop de fatigue. Lorsque le Ramadan se pratique en été, les nuits favorisées par des clairs de lune splendides et des scintillements d'étoiles superbes à cette époque de l'année, amplifient encore ce sentiment d'allégresse. Ceux qui visitent pour la première fois cette ville, surtout à cette période de l'année, ont toujours l'impression d'être projetés dans un autre monde.

Le Rhumel s'est creusé en cet endroit une gorge d'une incomparable beauté. Ses à-pic sont formidables, si bien qu'au moment de la conquête les habitants de Constantine se plaisaient à dire : « Eux, qui crachaient sur les ailes des corbeaux pendant leur vol, ne craignaient rien des assauts dont ils étaient menacés ». Des habitations semblent avoir été construites dans le prolongement de ces à-pic, si bien qu'on se demande comment ont pu être réalisées sur ces parois verticales ces constructions à l'apparence si fragile. En 1935, un glissement de terrain a précipité dans le gouffre quelques maisons qui occupaient le flanc de la gorge. Elles ont été immédiatement remplacées par les maisons voisines qui, en glissant, se sont retrouvées en équilibre instable sur le flanc de la gorge. Cela donne de cette partie de la ville l'impression que les bâtisseurs ont travaillé dans le vide.

Un artisanat particulier s'y est développé et à l'époque coloniale le travail du cuivre et la teinturerie y ont conservé tout leur particularisme. On apercevait encore sur les hauteurs du rocher les bacs de décantation des teintureries et à y voir ces teinturiers voler de bac en bac à une telle hauteur au-dessus du vide, on était pris de vertige.





Le quartier juif

A Constantine, les Juifs ont vu défiler depuis l'époque phénicienne toutes les invasions. Ils étaient alors dissémines dans la ville mais se retrouvaient sur la place Sidi-El-Kitani qui a été longtemps le cœur de la vie juive constantinoise. Au XVIIIe siècle, Salah-Bey décide de les expulser de la ville mais il tient à les garder toujours sous sa coupe. Les Juifs sont alors regroupés dans un espace déshérité, restreint et resserré qui vient buter contre le « Ravin » sur la rive gauche du Rhumel. Ce sera le « Kar Charah » (le cul de la lie) avec la fameuse rue Grand qui constitue alors l'épine dorsale de ce ghetto, de ce quartier juif. Lorsque la France s'installe à Constantine, le quartier s'ouvre jusqu'au contrefort du Ravin avec les constructions modernes de la rue Thiers se prolongeant jusqu'au boulevard de l'Abîme.

Tout au long de la colonisation, le quartier juif a su garder son cachet, son attrait et son identité. La population, en continuelle progression, semble vouloir se réchauffer en se serrant autour de ce foyer qui est devenu le sien. Il donne, de l'extérieur, une impression d'inconfort, d'étroitesse, d'insalubrité. Il semble imperméable à cette avancée de la civilisation matérialiste que la France semble dispenser à toutes les populations d'Algérie. C'est que le quartier est alors persuadé d'avoir une âme.

C'est pourquoi, jusqu'au jour de ce départ définitif de 1962, tout semble rester immuable ici. Dans le « Kar Chara », dans une rue perpendiculaire à la rue Grand, dans la rue Henri Namia, une petite synagogue, toujours ouverte à la discussion, a veillé sur la conscience de ce quartier.

En apparence la vie est la même dans le « Kar Chara » que dans la ville arabe. L'animation y est aussi fébrile, le commerce aussi actif et aussi âpre. Il y règne cependant une certaine convivialité : ici Juifs et Musulmans commercent, se rencontrent, s'invectivent amicalement, pour ne pas dire fraternellement. Si le commerce est actif, l'artisanat juif particulier à Constantine a lui aussi ses lettres de noblesse. Jusqu'à la Seconde Guerre mondiale les brodeurs ont gardé leurs échoppes ancestrales. Leurs doigts agiles faisant courir leurs fils d'or sur les brocarts des tentures de synagogue, ils accueillent tous ceux qui veulent célébrer l'un des leurs. Les Juifs de l'intérieur, eux, abandonnent bien souvent leurs bijoux frustes des campagnes pour venir à Constantine chez les bijoutiers spécialistes du filigrane.

Si l'animation est toujours grande dans le « Kar Chara », elle semble atteinte d'un vent de folie le jour de Pourim : on y fête le souvenir d'Esther et si la révolte gronde au moindre rappel du mot « Aman », tout sera joie et douceur au cours de cette journée. Ici, tout le monde jeûne la veille de Pourim. Petits et grands, jeunes et vieillards sont pris ce jour-là de la folie du jeu. Dans un désordre indescriptible, on retrouve dans cette rue Grand, petits, adultes ou vieillards prêts à en découdre pour un dé qui a mal roulé ou pour une carte maladroitement glissée ici ou là, mal à propos. On joue à tout et pour de l'argent. On se dispute aussi car on est toujours convaincu d'avoir perdu à la suite d'une tricherie. Ni le jeûne, ni les pertes d'argent n'entament la vivacité des participants.

II est un autre jour particulier à ce quartier. C'est la veille de Pessah. Lorsque tout le monde s'est appliqué à extirper du moindre recoin la miette de hametz (nourriture non casher) du quartier, le « Kar Chara » semble alors vouloir retrouver son âme.

La Brèche qui jouxte à l'ouest la ville indigène débouche sur la place des Chameaux. Elle sera dès lors le cœur de la ville nouvelle. Trois grands axes sont dessinés à partir de cette place. Le premier se dirige vers le bas du ravin, ce sera la rue Nationale, devenue plus tard la rue Georges Clemenceau qui finit au pont d'El Kantara. Une ligne directe est tracée vers le « Kar Chara », elle formera les rues Caraman et de France. Le troisième axe débouche sur l'abîme, ce sera le boulevard Joly de Brésillon.

Entre la Casbah, point culminant du rocher où l'armée a choisi de s'installer et le « Kar Chara », Ahmed-Bey s'était fait construire un splendide palais. Il avait aménagé une très belle place pour voir ses janissaires parader. Le palais deviendra rapidement le siège du commandement militaire de Constantine et la place va servir de point de repère aux urbanistes chargés de construire la ville nouvelle.

La Constantine moderne va s'articuler autour de ces axes principaux : des bâtiments s'inscrivent peu à peu de chaque côté de ces avenues nouvellement tracées. L'administration française s'installe. Les institutions habituelles de la vie administrative républicaine prennent place aux abords proches de la Brèche. Sur le boulevard Joly de Brésillon, une mairie (1903), construction monumentale à quelques dizaines de mètres du centre ville, s'apprête à accueillir la population dans ses bureaux fonctionnels et ses salles d'accueil. Un peu plus loin sur le même boulevard, et dans le même style, avec une allure un peu plus sévère, la préfecture (1886) occupe toute une rue voisine.

Une poste digne de l'importance qu'est appelée à prendre la ville est construite en 1908 sur le côté sud de la place de la Brèche. Un magnifique théâtre (1883) en occupe la face est, tout contre la place des Chameaux ou place de Nemours, du nom du fils du roi Louis-Philippe qui commandait une des brigades du corps expéditionnaire de 1837.

Les Européens arrivent peu à peu à Constantine, De magnifiques immeubles s'élèvent des deux côtés des rues Nationale, Caraman et de France. Les commerces à la française apparaissent et l'animation, l'aspect de cette nouvelle ville n'ont plus rien à envier aux villes de métropole. Dans cet espace compris entre la Casbah, la place du palais et la rue Caraman s'édifie une ville totalement européenne. La rue de France, qui limite le « Kar Chara », accueille peu à peu les Juifs qui se sentent trop à l'étroit dans leur quartier et celui-ci va finir par s'étendre du contrefort du ravin, devenu rue Thiers, jusqu'à la Casbah et finira par atteindre le côté nord-est de l'Abîme.

L'explosion démographique de la population indigène va rapidement l'amener à sortir des limites de la ville arabe. Un espace compris entre la rue Nationale et le « Kar Chara » est aussitôt envahi par une population pressée de prendre ses aises. Un nouveau quartier indigène prend forme dans cet espace. Il s'étend jusqu'au quartier juif et arrête sa progression à la limite du marché arabe qui constitue la place des Galettes. Si les nouvelles constructions sont restées fidèles à l'architecture locale, elles ont été toutefois ordonnées afin de les inscrire suivant un plan d'urbanisme qui aménage la vie du quartier et le rend plus accessible.

Dans le quartier juif, de l'autre côté de la rue de France, sur une place dont la légende dit qu'elle servait pour la vente des esclaves, cette place nommée « Négrier » devient un très beau marché, mi-arabe, mi-français où les Juifs se retrouvent pour faire leurs emplettes.

Très vite le Rocher se sent trop à l'étroit. Il ne peut contenir l'explosion de la ville. Les édiles songent alors à l'étendre par l'édification de faubourgs. Tout d'abord en direction du sud-ouest, un monticule, le Coudiat, est alors arasé et fait place à une vaste plate forme (7 ha) propice à l'édification de bâtiments importants. Des services administratifs s'y installent confortablement et de vastes établissements scolaires secondaires y prennent place. Les investisseurs construisent alors des immeubles de très belle facture, avec de très beaux appartements qui accueillent hauts fonctionnaires ou riches commerçants. Pour rejoindre le Coudiat, les urbanistes dessinent une large allée qui part de la place de la Brèche et finit au pied du Coudiat par un énorme rond-point sur lequel est édifié le garage Citroën (avenue Pierre Liagre 1935).

En descendant vers le Coudiat, sur la gauche, derrière la poste, un vaste parc arboré, agrémenté de massifs fleuris, le square Valée est aménagé en jardin à la française. En été on y vient chercher un peu de fraîcheur. Une statue du général Valée y a été érigée. Cette statue, rapatriée en France dans les années 60 se trouve actuellement à Brienne-le-Château, dans l'Aube.

Parallèlement, lui faisant face, le square de la République, vaste, peu aménagé, a reçu des vestiges du passé de la ville et s'y crée le musée lapidaire (annexe du musée Mercier) consacré surtout à l'époque romaine. Plus tard (1934), un casino s'installe dans son voisinage.

Très rapidement le Coudiat est ceinturé par une succession de belles bâtisses qui forment un quartier à l'allure huppée. C'est le quartier Saint-Jean, résidence privilégiée des bourgeois de la ville.

Les écoles s'égaillent un peu partout dans la ville et les installations modernes qui s'implantent font de Constantine un pôle d'attraction pour toute la région est de l'Algérie. L'architecture a changé. Le mode de construction locale a disparu.

Plus à l'ouest, sur une charmante petite colline, de petites villas, coquettes, agrémentées de jardins, se pressent les unes contre les autres suivant un plan d'urbanisme bien établi, Bellevue devient rapidement un très beau faubourg qui n'a cessé de croître et d'embellir au fil des ans. Bellevue s'ouvre dès le début du XXe siècle à une population prolétarienne avec la construction d'habitations à bon marché (HBM) au camp des Oliviers.

Sur les vestiges d'un pont romain, Salah-Bey a construit, au XVIIIe siècle, un pont : le pont Salah-Bey. C'était alors la seule porte d'entrée dans la citadelle. En 1865, l'administration française va utiliser cet emplacement pour édifier le pont d'El Kantara. La gare se trouve de l'autre côté du pont, au nord de la ville. Les employés des chemins de fer, qui n'ont pas les moyens de résider dans les quartiers chics, occupent peu à peu l'espace qui s'étend jusqu'à une admirable forêt de pins dans laquelle un très grand lycée technique s'installe. Avec ses immeubles à loyer modéré, ses petits pavillons, le quartier est vite saturé. C'est un quartier populaire qui s'intitulera El Kantara, pour rappeler son voisinage avec le premier pont de Constantine.

Au Nord-est, le faubourg Lamy, avec ses coquettes maisons blanches couvertes de tuiles rouges, prolonge le quartier d'El Kantara. Il se lance à l'assaut des premiers contreforts de Sidi-M'Cid jusqu'à la lisière de la très belle forêt de pins.

Le faubourg Lamy accueille les deux écoles normales d'instituteurs, devenues nécessaires du fait de l'essor de la scolarisation. L'école normale d'institutrices avec son école d'application, l'école Pasteur, prend place sur la montée de la côte 304, vers le faubourg Lamy, et l'école normale d'instituteurs s'expatrie aux confins du faubourg,

Afin de prendre ses aises, Constantine part à l'assaut du plateau du Mansourah, avec la création de deux nouveaux quartiers dénommés Sidi-Mabrouk inférieur et Sidi-Mabrouk supérieur. Avec la naissance de ce faubourg apparaît un orphelinat où des orphelins musulmans apprendront un métier.





La ville moderne

Dans les années 1940, la population de Constantine a passé le cap des 120 000 habitants. La salubrité du rocher et son climat tempéré ont toujours constitué un attrait. La Constantine belliqueuse, enfermée sur son rocher, s'est ouverte au monde. Sa population est devenue courtoise et accueillante. Afin de rompre cet isolement imposé par sa situation géographique, la France a construit des ponts qui facilitent la circulation à l'intérieur de la ville, et qui relient celle-ci à l'infrastructure routière, mettant Constantine en relation avec le reste de l'Algérie. Constantine est « la ville des ponts »*. L'ancien pont de Salah-Bey a été remplacé par un édifice en béton formé de cinq arches. Il ouvrait dans le temps les portes de la ville. Il relie aujourd'hui la ville aux quartiers d'El Kantara et Lamy. C'est aussi le point de départ d'une route qui mène à Philippeville.

Outre le pont d'El Kantara, la passerelle Perrégaux, d'une grande hardiesse, facilite l'accès à la vieille ville. C'est une passerelle métallique de 125 m de long et 2,40 m de large. On y accède par un ascenseur à partir de la rue Nationale près de la médersa, de construction récente et de la grande mosquée construite par Salah-Bey, lorsque les Juifs furent chassés de la place Sidi-el-Kitani. Lorsque l'on stationne au milieu de la passerelle on est émerveillé par les rochers tombant à pic.

Le pont Sidi-Rached, construit en 1912, est un immense viaduc de 27 arches inégales et de 447 m de long. Il est impressionnant dans sa construction et par sa situation. En arrivant de l'avenue Viviani, sur sa gauche, s'élevant sur le rocher, la vieille ville et ses tanneries semblent dégringoler vers lui. À sa droite, le gouffre, dans lequel le Rhumel s'est creusé un lit à cet endroit très étroit.



Au début du XXe siècle, il était impossible d'atteindre l'éperon rocheux M'Cid. Le pont suspendu du même nom, long de 160 m, sera le trait d'union lancé au-dessus des 175 m de l'abîme. Pour atteindre le sommet du Sidi-M'Cid, un chemin conduira plus tard au cimetière juif et à l'hôpital civil construit à quelques encablures du pont suspendu.

A l'époque française, rien que pour ses ponts, Constantine valait le détour. Mais la ville avait d'autres attraits. Reine du tourisme nord-africain elle a été érigée en station de tourisme par décret du 31 janvier 1924 et en station climatique le 12 mai 1932.

Le tourisme à Constantine c'est évidemment son Rocher et les sites fantastiques des gorges du Rhumel. Lorsqu'on passait à Constantine on avait tout de même intérêt à visiter le palais et le musée.

Le palais d'Ahmed-Bey était incontestablement l'un des plus beaux monuments de l'art d'Afrique du Nord. L'ancienne salle du trône se trouve au premier étage. Cette salle est une pure merveille. Ses colonnes de marbre sont harmonieuses et fines, ses mosaïques sont exquises et l'on y voit, suspendus aux murs, de nombreux trophées rappelant les principaux faits d'armes de la conquête. La légende raconte qu'au moment où les Français sont entrés dans le palais ils y ont trouvé 360 femmes constituant le harem du bey. La femme la plus célèbre d'Ahmed-Bey se nommait Aïcha. Sa chambre d'une beauté éclatante existait encore en l'état en 1962.

On pouvait visiter aussi le musée Mercier, boulevard de France sur le Coudiat, si intéressant pour les archives des découvertes archéologiques de la Constantine antique et par ses célèbres peintures sur l'Algérie.

En 1912, les ingénieurs entreprennent des travaux importants de percement du rocher pour construire un chemin de ceinture à l'ouest de la ville arrêtée par l'abîme. Le boulevard de l'Abîme qui court autour du rocher à plus de 100 rn de hauteur relie le boulevard Joly de Brésilien au pont suspendu. Tout au long de cette succession de percements dans la roche, des ouvertures, véritables belvédères, laissent entrevoir d'incroyables panoramas. On s'y attarde surtout les soirs d'étés, lorsque le soleil couchant embrase de ses flamboiements la riante plaine du Hamma.

A l'approche du boulevard de Belgique, sous le dernier mini-tunnel, en face d'une immense grotte sur laquelle les enfants aiguisaient leur imagination, nous apercevions une grille métallique. En été, surtout les samedis et dimanches, une agitation fébrile y régnait dans l'attente de son ouverture. On y faisait la chaîne gaiement en attendant son tour de prendre un ascenseur pour passer la journée aux piscines de Sidi-M'Cid. C'est dans une cheminée de 165 m de profondeur qu'un ingénieur, M. Sabathier l'avait aménagé.

Au pied du Djebel M'Cid, dans une encoche du Rocher, dans un décor titanesque de roches qui s'entrecroisent et se déchirent, le Rhumel reprend son calme et une oasis verdoyante, véritable havre de paix, de sérénité et de fraîcheur s'offre aux visiteurs. Ici il ne gronde plus. On n'entend plus que le murmure de l'eau des chutes proches qui se jettent dans le lit de l'oued, et le gazouillis d'une cascade qui se déverse dans une piscine naturelle à quelques dizaines de mètres des chutes.





La piscine olympique

La cascade d'eau chaude jaillit du rocher à 3 m de hauteur dans une piscine naturelle de 21 m de long sur 7 m de large et 1,15 m de profondeur. Cette eau sort à une température d'au moins 26°. Pour contenir l'eau de la piscine, à 7 m du rocher on a aménagé un petit muret pour en réguler le niveau. L'eau est évacuée dans un ancien bassin romain qui a résisté à l'usure du temps. Pendant la présence française cette piscine romaine de forme semi-circulaire de 37 m de diamètre et d'une profondeur de 1,20 m à 1,50 m a été restaurée, et l'espace compris entre tes 2 bassins a été aménagé en cabines de déshabillage.

Au cours des années 30, une piscine olympique a été construite afin de recevoir les championnats de France. Elle est alimentée, elle aussi, par la cascade d'eau chaude. Hiver comme été on se baigne à Sidi-M'Cid, car la température de l'eau, même lorsqu'il neige, n'est jamais inférieure à 22°.

Sidi-M'Cid était devenu en été un centre de loisir apprécié de tous. Un hôtel-restaurant-dancing, le « Palmarium », très agréablement aménagé, faisait en été la joie de ceux qui venaient chercher la fraîcheur. Le rocher qui domine cette oasis et qui semble l'écraser du haut de ses 300 mètres est le Djebel Sidi-M'Cid.

La construction du pont suspendu et la route qui mène à l'hôpital puis au cimetière juif l'ont rendu plus accessible. Même s'il est toujours difficile d'y accéder, l'ascension en vaut la peine. En arrivant au « nid d'aigle » construit en son sommet une intense émotion vous saisit,

justifiée par le vide qui semble vous attirer, par le spectacle magnifique de la riante vallée du Hamma avec ses vergers et ses jardins potagers et, au loin, les montagnes de la Petite Kabylie qui ferment l'horizon.

La ville a édifié, à quelque cent mètres du sommet, un monument grandiose destiné à perpétuer le souvenir de ses enfants morts pour la patrie.

Pour étudier le projet, l'architecte s'est inspiré d'une merveille de l'époque romaine, l'arc de Trajan, à Timgad. Cet arc de triomphe est en si parfait état que l'architecte a pu y relever le moindre détail. Le monument est construit en pierre du pays. La statue de la Victoire, placée au sommet, est l'agrandissement fidèle de celle figurant dans les collections du musée Mercier. Joyau de ce musée, elle a été trouvée lors de la construction des casernes de la Casbah.





Les Gorges du Rhumel

Pour accéder aux thermes et à la piscine que les Romains avaient installés au fond de la gorge il fallait prendre le chemin des Touristes. Au début du siècle, un ingénieur nommé Rémès, s'inspirant probablement d'un tracé que les Romains avaient aménagé, au moins jusqu'aux thermes, a bâti un chemin qui longe la gorge sur 2 800 m, suspendu en contre-bas, épousant les monuments du rocher à une dizaine de mètres au-dessus du lit de l'oued. Inondé les jours de crue, il a résisté à tout, jusqu'au lendemain de la Seconde Guerre mondiale. Accroché comme par miracle au flanc de la gorge, c'est une pure merveille. Le parcours est périlleux, mais le risque en vaut la chandelle. On y accède soit par la porte sud du pont de Sidi-Rached, soit par la porte nord-est, sous le pont d'El Kantara. Tout le long du parcours nous découvrons de nombreuses cavernes. Le promeneur qui emprunte le chemin des Touristes a toujours un mouvement de frayeur instinctif en frôlant les parois vertigineuses du « Kef-Chkara », témoins sous les gouvernements turcs des pires forfaits.



Le chemin des Touristes arrête sa course au pont des chutes qui relie la rive droite à la rive gauche du Rhumel à Sidi-M'Cid. C'est par là qu'à l'arrivée de l'ascenseur Sabathier on accède aux piscines. C'est à partir des chutes que le Rhumel retrouve sa sérénité pour traverser la plaine du Hamma.

Constantine a connu son âge d'or à la belle époque de la présence française. Les sportifs s'adonnaient sans complexe à leurs sports favoris, le football et la natation. Deux stades faisaient les délices des footballeurs et certaines vedettes du championnat français y ont fait leurs premières armes. Les piscines de Sidi-M'Cid, ouvertes aussi bien l'été que l'hiver, ont été des pépinières de champions dont le plus célèbre, recordman et champion du monde, Alfred Nakache.

Avec son magnifique théâtre, ses cinq cinémas, son université populaire, la vie culturelle à Constantine était très active. Son théâtre s'ouvrait fréquemment aux spectacles lyriques, et la saison des JMF attirait toute la jeunesse. Les troupes de théâtre parisiennes incluaient toujours Constantine dans leurs tournées de province. La Comédie française ne manquait jamais de passer au moins une fois l'an pour donner des pièces classiques. Le théâtre de Constantine recevait régulièrement les célébrités du moment.

A partir de 1934, la commune a entrepris de gigantesques travaux en aménageant la place de la Brèche, grande esplanade, véritable belvédère. Cette nouvelle place, inaugurée en 1937, très recherchée de la jeunesse constantinoise, était son lieu de prédilection. En hiver on préférait émigrer vers la rue Camaran.

La Légion étrangère a su aussi aménager dans les environs de la ville un lieu propice aux promenades et aux pique-niques par les beaux jours ensoleillés de printemps. Djebel Ouach, à 6 km de Constantine, était un ravissant bois entourant deux pièces d'eau. On pouvait aller aussi se promener à la Pépinière et s'arrêter en passant près des Arcades Romaines, ruines d'un aqueduc antique qui amenait les eaux du Bou-Merzoug.

Aujourd'hui, Constantine a sûrement changé et beaucoup ne s'y retrouveraient pas. Qu'importe ! Il nous faut en garder intacte l'image de l'époque coloniale, afin que son souvenir reste à jamais vivant pour nos enfants.



Eliaou Gaston GUEDJ

CARTES POSTALES ANCIENNES

extrait de la revue « l'Algérianiste » n° 73

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CARTES POSTALES ANCIENNES

extrait de la revue « l'Algérianiste » n° 73

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