SYNTHESE DE CIVILISATIONS


« Nous voilà donc changés en physiciens, en biologistes, examinant ces civilisations qui ornent des fonds de vallées et parfois par miracle, s'épanouissent comme des parcs, là où le climat les favorise. Nous voilà donc jugeant l'homme à l'échelle cosmique... »



« Un spectacle n'a point de sens sinon à travers une culture, une civilisation, un métier. »

ANTOINE DE SAINT-EXUPERY (Terre des Hommes).



Vous qui vous apprêtez, en feuilletant cet ouvrage, à juger des hommes, admettez que les valeurs impliquées par votre culture, votre civilisation, votre métier, ne sont pas universelles : alors seulement, les vues aériennes qui suivent vous offriront de la terre algérienne et des hommes qui y vivent, une vision renouvelée.

Car à mille mètres d'altitude, l'homme n'est présent dans la nature apaisée, silencieuse et apparemment immobile que par l'empreinte qu'il a imprimée sur un sol plus ou moins hostile, dans son effort obstiné pour domestiquer, sinon asservir, le milieu naturel et se libérer des contraintes qu'il fait peser sur lui.

Cette entreprise, il la mène avec une foi plus ou moins grande, avec plus ou moins de succès selon la difficulté des obstacles naturels qu'il affronte, l'état de perfectionnement de ses techniques, et surtout selon la vision du monde qu'il tient de sa civilisation et qui lui enseigne à transformer ce monde ou bien à s'adapter à lui. Or, dans ce pays climatiquement partagé entre l'influence bénéfique de la Méditerranée qui se fait sentir jusqu'aux hautes plaines de l'intérieur et celle, stérilisante, du désert, deux civilisations coexistent : l'une ouverte sur le monde, axée vers l'avenir et dont les progrès matériels s'accélèrent car elle utilise les techniques les plus modernes, l'autre tournée vers le passé, Algérie hors du temps mais que son temps menace et où les hommes, pour survivre, ont dû ruser jour après jour, et depuis des siècles, pour établir, avec l'environnement naturel, un équilibre fragile et sans cesse compromis.

Et c'est ainsi qu'il faut regarder l'Algérie moderne, expression de la civilisation industrielle, avec ses villes immenses toujours en expansion, ses zones industrielles à tous les stades de développement, ses ports à l'heure du pétrole et du gaz sahariens, ses villages sans poésie, mais strictement tracés, ses rangs de vignes parallèles, ses plantations géométriquement ordonnées, les damiers rigoureux de ses champs, ses plaines cultivées comme d'immenses jardins où les fermes, véritables petites agglomérations, sommeillent au milieu des cultures.

C'est ainsi que prend son sens l'Algérie traditionnelle avec ses rares centres absolument intacts qui ont su préserver, autour d'un minaret central, l'intimité de leurs ruelles étroites et de leurs patios ombragés par des remparts de jardins toujours verts, ses villages kabyles chevauchant hardiment les crêtes et dominant les vergers de figuiers et d'oliviers, ses pie-monts aux parcelles morcelées, cernées de haies de cactus ou de jujubiers, ses fermes dont les bâtiments prennent jour sur des cours intérieures, univers protégés où vivent les hommes et s'abrite le bétail, ses villages de l'Aurès à mi-pente, au-dessus des cultures étagées sur les versants ou groupées dans les fonds des vallées, ses vastes espaces que parcourent les troupeaux et les bergers nomades, ses steppes d'alfa qu'agité le vent du Sud. Entre ces deux Algéries, tous les passages existent, depuis la simple juxtaposition, dans les villes, des vieux quartiers pittoresques et des cités modernes, jusqu'aux créations originales des cités ouvrières et des nouveaux villages, qui allient la rigueur occidentale du tracé à l'intimité des maisonnettes basses s'ouvrant sur une cour intérieure. Un style nouveau qui cherche ses normes définitives s'instaure; les formes parfois maladroites qu'il emprunte témoignent de sa vitalité.

Comme toute œuvre humaine, l'empreinte qu'inscrivent aujourd'hui sur la terre d'Algérie, les hommes qui y vivent, ne fait que succéder à celles qui y furent imprimées par les hommes du passé. Dé la « Paix romaine » ne demeurent que des souvenirs, ruines émouvantes de Djemila, antique Cuicul, témoin silencieux et solitaire d'un empire déchu, de Tipasa, que la mer berce inlassablement, mais bien des routes ont suivi le tracé des voies construites à cette époque. De l'Algérie turque, des vieilles cités subsistent; quant à l'Algérie arabe, toujours vivante, au contact de la civilisation berbère puis de la civilisation occidentale et de la France, elle donne naissance à une Algérie nouvelle résultante de ces héritages successifs.

Quels que soient les tumultes et les fracas de l'histoire, l'Algérie vue du ciel, gardera la trace indélébile des hommes et des civilisations qui s'y seront succédés. Comme un pont immense jeté par-dessus l'abîme des siècles, le legs du passé nourrit le présent, promesse d'un avenir à la mesure des hommes qui auront à le bâtir.


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