L'ensemble vocal
Chorale pilote du mouvement « A Cœur Joie » en Algérie.
La Baraka est née à Laghouat, à Pâques 1950. Un stage organisé par André Carreau, instructeur spécialisé du Service des Mouvements de Jeunesse et d'éducation populaire en Algérie regroupait une trentaine de bons choristes issus des chorales « À Cœur Joie » d'Alger, mais aussi d'Oran, Bône, Philippeville, Constantine, Sétif, Bordj-Bou-Arreridj... Bouïra, Mostaganem. Ce stage se tenait dans un collège, au bout de la palmeraie, non loin du marabout de Sidi-Aïssa, vénéré protecteur de la ville.
Le but du stage : former un ensemble vocal, soudé et bien motivé. Travailler un répertoire varié en vue de donner des concerts en Algérie, pour susciter des vocations et ainsi créer de nouvelles chorales populaires mais aussi préparer une tournée de concerts en métropole et ailleurs en Europe. Cette tournée devait se faire à l'issue des « Choralies » de Vaison-la-Romaine, où dans un très beau théâtre romain, toutes les chorales « À Cœur Joie » se réunissaient autour de César Geoffray, fondateur de ce mouvement issu du scoutisme. Des chorales, venues de France et d'un peu tous les pays d'Europe, mais aussi du Maroc, et bien sûr d'Algérie. Pourquoi ce nom : « La Baraka » ? Durant le stage de Laghouat, une excursion avait emmené les choristes à quelques kilomètres de la palmeraie. Soudain un orage indescriptible que rien ne laissait prévoir, surprit le groupe. En quelques instants, le ciel était passé du bleu à l'indigo puis au violet, zébré d'incessants éclairs. Sous l'effet des premières gouttes de pluie, la terre et le sable étaient maintenant rouge foncé. Des cataractes s'abattirent sur nous. Les oueds jusque-là invisibles, en un instant gonflés, roulaient à présent des flots boueux, des torrents jaunâtres envahissaient les champs, coupant les routes, effaçant les pistes. Les palmiers lavés par la pluie, secoués par la tempête, leurs chevelures de palmes tordues par les bourrasques étaient devenues vert fluorescent... Un spectacle de fin du monde ! Qui n'a pas connu un de ces orages sahariens ne peut imaginer la beauté, la violence de ces éléments déchaînés.
Les habitants du douar voisin nous avaient spontanément offert l'hospitalité de leurs mechtas et avaient eu vite fait de préparer le thé à la menthe offert avec les dattes et la kesra. Il y avait, disaient-ils, plus d'un an qu'il n'avait pas plu: « Vous nous avez apporté la baraka » ne cessaient-ils de répéter. Le nom de l'ensemble vocal était trouvé ! « La Baraka » c'est-à-dire la chance, mais également la bénédiction du ciel ! L'existence de La Baraka fut hélas trop brève: 1950-1962... mais ce fut une période riche en événements artistiques de tout premier plan. Le chœur fut très vite reconnu comme un élément majeur de la vie musicale algéroise. André Carreau (1907-1996), violoniste de formation, passionné de musique, s'était très tôt intéressé au chant choral. Il avait à cœur de découvrir et faire connaître des œuvres de musique ancienne, mais il ne craignait pas d'aborder un répertoire de notre temps, beaucoup plus difficile, pour promouvoir la musique contemporaine. Des musiques françaises, mais aussi allemandes, espagnoles, anglaises, italiennes... Malgré la difficulté que cela représentait pour ses choristes qui n'étaient pas des professionnels (certains le devinrent à Paris après 1962), il n'hésitait pas à appréhender avec La Baraka les œuvres de Debussy, Ravel, Schmitt, Poulenc, Milhaud, Messiaen, voire Hindemith ou Kodaly. Cinquante ans après pour certaines, elles restent gravées dans le souvenir de celles et ceux qui eurent le bonheur de participer à leur exécution.
Quelques grands moments nous reviennent en mémoire :
La Baraka se produisait aussi lors de manifestations officielles, comme l'ouverture solennelle de l'Université, la messe des artistes (Vœu de Willette). À Noël, elle animait presque tous les ans la messe de minuit pour Radio Algérie, messe radiodiffusée depuis la chapelle du collège Sainte-Élizabeth au Telemly. Si La Baraka a souvent chanté de la musique sacrée dans les églises, il lui est aussi arrivé de chanter au temple ou à la synagogue, car elle comptait dans ses rangs des choristes de toutes confessions. Comme la musique unit les âmes, il arriva souvent qu'elle unisse les cœurs. Aussi, nous pourrions certainement faire une bonne chorale, si nous pouvions réunir tous les enfants issus des unions « barakistes ».
De plusieurs tournées de concerts à l'étranger, il nous reste de merveilleux souvenirs : sortant de visiter le Musée des Offices à Florence, nous chantions sous la Loggia dei Lanzi en face du Palazzo Vecchio, un peu pour faire la manche... beaucoup pour nous faire plaisir. Vint à passer le maire de Florence, Giorgio La Pira... Le lendemain, après une réception au Palazzo Vecchio, qui est aussi la mairie, il avait organisé pour nous un concert dans le cadre historique de la Salle des Duecenti où avait été conviée la fine fleur de l'intelligentsia florentine. L'écho de ce concert étant parvenu à Sienne, le comte Chigi Saracini invitait La Baraka à venir chanter dans son palais. Entièrement dédiée à la musique, il a transformé cette demeure au passé prestigieux en une Académie musicale où concertistes de talent et étudiants de haut niveau se rencontrent pour travailler, échanger et confronter leurs techniques. Une très belle salle de concert avec un décor Louis XV, blanc et or, attendait La Baraka. Ce sont des moments inoubliables !
La Baraka a bien servi la musique, ce faisant, La Baraka a bien servi l'Algérie, notre Algérie. Elle a aussi payé un lourd tribut à la guerre : Georges Moatti : tué dans l'attentat du Casino de la Corniche. Paul Kamoun: assassiné dans la rue à Constantine. Jacques Muriot : instituteur en Kabylie pendant son service militaire. Enlevé dans son école et assassiné en 1960. Yvette Assoun enlevée à Hydra en juillet 1962. Jacques : un nouveau choriste, arrivé depuis peu de métropole, enlevé entre Alger et Orléansville en juillet 1962.
Frédéric, un ancien choriste de La Baraka, qui chante encore
extrait du n° 110 de la revue l'Algérianiste |
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