TIMGAD, l'antique « Thamugadi » qui fût fondée en l'an 100 sous Trajan située à 150 kilomètres au sud de Cirta (Constantine) par le légat Monatius Gallus et les légionnaires terrassiers de la IIIe Légion devait former avec Lambaesis et Cuicul (Lambèze et Djémila) le troisième pôle d'un triangle de pacification civilisateur en Maurétanie.
Timgad vérouille en outre la sortie nord du massif sauvage de l'Aurès que les Romains jugent assez dangereux pour se contenter d'en surveiller l'accès, sans y pénétrer en l'absence de motif important. Conçue par des militaires pour des raisons stratégiques et commerciales dans une région hostile, cette ville-carrefour a existé « sur le papier » sous forme de plan précis, élaboré avant que sa première pierre ne fut posée, sa présence en un tel site paraissant si insolite que les matériaux de son édification semblent avoir été, à l'image de l'actuelle et récente Brasilia, apportés de toutes pièces en cet endroit désertique.
C'est, dans un cadre austère, à la fois l'expression de la raison militaire, de la logique urbanistique, de la rigueur géométrique plus que celle du cœur ou de la fantaisie. Par le parfait quadrillage de sa configuration, la ville garde l'allure d'un camp militaire (fig. 2). Devenant ensuite résidentielle, commerçante et bourgeoise elle développera autour de ce damier de base quelques excroissances plus irrégulières et, débordant sa surface primitive de douze hectares, finira par en couvrir un peu plus de cinquante. Ce champ de ruines, n'excède certes pas, ainsi qu'on l'a dit, le périmètre habituel d'une de nos modestes sous-préfectures, mais il demeure suffisamment impressionnant et émouvant de par son état de conservation pour être comparé à Pompéi.
Les routes qui mènent au site, dont celle de Theveste (Tebessa) à une centaine de kilomètres à l'est, font partie des voies impériales qui ont relié entre elles les villes de la province.
Ces routes furent pour la plupart solidement construites par les hommes de la IIIe Légion « Augusta ». Elles offraient une surface dallée de roches dures reposant sur une assise de maçonnerie, elle-même bâtie sur un lit de sable et de mortier. Elles étaient bordées par deux fossés.
Le réseau provincial était dense et permettait l'acheminement vers les portes des récoltes importantes d'huile et de blé, assurées par la main-d'œuvre locale, encadrée et aidée par les légionnaires dans leurs périodes d'activité militaire réduite. Outre le blé et l'huile, Numidie et Maurétanie exporteront aussi des bois précieux de thuya et de citrus ainsi que des mulets réputés pour leur robustesse et des fauves pour les jeux. Comme toutes les routes de l'Empire, ces voies sont balisées tous les 1 481 m 50 par une borne « milliaire », à partir du centre du Forum de Rome et ce, jusqu'aux contins les plus reculés des provinces lointaines, après avoir contourné toute la Méditerranée en suivant les rives.
Les voies impériales qui atteignent Timgad l'abordent et la traversent en direction est-ouest et nord-sud. L'implantation originelle de la ville est un carré de 500 mètres de côté.
Les Romains n'élèvent pas, à cette époque, d'enceinte fortifiée autour de chacune de leur agglomération, mais ils matérialisent volontiers par un arc monumental une de ses portes importantes (fig. 2 case 1). Pour séduire et sécuriser, ils font de cet arc un monument somptueux d'aspect triomphal. L'arc, comme toute la ville, est une « vitrine » destinée à donner l'envie de devenir et de rester romain aux indigènes du pays en voie de pacification. Ainsi, la moindre agglomération agricole va-t-elle bénéficier à travers ses monuments, des attributs architecturaux réduits, mais évocateurs, de la Rome elle-même : « on plante un arc comme on plante un drapeau » dira Georges Rozet dont le nom est avec ceux d'Eugène Albertini, de Jean Baradez, de Louis Bertrand, de Christian Courtois, de Louis Leschi, de Pierre Miquel, de Claude Maurice Robert et bien d'autres, difficilement dissociable de toute évocation historique de l'Afrique romaine.
L'arc de Trajan est élevé à la porte qui ouvre la route menant a Lambaesis (Lambèse) à une trentaine de kilomètres à l'ouest. Son ouverture, qui laissait à peine passer un homme lorsque l'arc était encore enseveli, mesure 7 mètres de hauteur une fois dégagée. Cette porte est conçue pour permettre le passage de deux voitures de front et des ouvertures latérales sont également ménagées pour les piétons (fig. 3).
La Constantine française s'inspirera du dessin de l'arc de Trajan pour son munument aux morts de la guerre de 1914 - 1918 situé sur un éperon rocheux, au nord de la ville.
Le carré urbain de Timgad est coupé par deux artères principales : le « Cardo maximus » du nord au sud et le « Decumanus maximus », de l'est à l'ouest. Elles sont larges de 5 mètres et plus par endroits, dallées de calcaire blanc ou bleuté, usées par le charroi, et flanquées de trottoirs qui sont le revêtement d'égoûts collecteurs. Ces rues sont parfois bordées de portiques pour protéger les passants des ardeurs du soleil. Dans chacun des quatre carrés résultant de l'intersection de ces deux grandes voies traversant la ville du nord au sud et d'est en ouest, des rues secondaires, également perpendiculaires les unes aux autres, délimitent 36 îlots au nord-ouest et nord-est, sud-est et sud-ouest. Chaque îlot (ou « insula ») comprend cinq ou six demeures.
Pénétrons dans les vestiges de l'une de ces demeures, elle évoque la maison romaine type. Les fouilles réalisées donnent ici, comme dans les autres sites, suffisamment d'indications pour imaginer dans le détail, sa configuration et la vie qu'y menaient ses habitants.
Ces logements n'ont pratiquement pas d'ouvertures extérieures. L'entrée donne sur le « vestibulum » où l'on est reçu et où l'on attend.
Au centre de la maison se trouve « l'atrium » éclairé par une ouverture pratiquée dans le toit. On peut fermer cette ouverture à l'aide d'un rideau ou « velum » quand le soleil est trop fort. Au centre de l'atrium, un bassin, l'impluvium, permet de recueillir l'eau de pluie.
Les murs de ce patio sont agrémentés de pavements de mosaïques décoratives lorsque l'occupant des lieux en a les moyens.
Cette partie centrale de la maison est aussi le centre de la vie familiale. Les femmes y passent avec leurs enfants, la plus grande partie de la journée, alors qu'en dehors de leurs heures de travail, les hommes flânent volontiers sur le forum ou se détendent aux thermes.
Les pièces d'habitations périphériques, petites, peu profondes et mal éclairées, s'ouvrent sur l'atrium. Elles sont généralement réservées au sommeil et au repos.
Il y a, certes, un type général de maison, mais on constate beaucoup d'adaptations individuelles à ce schéma architectural de base, et, témoignant de l'opulence de certains bourgeois de la ville, quelques villas de maître plus somptueuses possèdent aussi d'agréables et vastes jardins intérieurs (fig 2 case 14). La « maison aux jardinières » fait partie des ruines les plus visitées de Timgad (fig. 2 case 2).
Pour les approvisionnements du quotidien domestique les habitants de la ville disposent d'un marché organisé. Il occupe à Timgad une surface relativement vaste. Il est couvert mais éclairé en son centre par un large puits de jour en forme de demi-cercle dont le sol est pavé de briques (fig. 4 et fig. 2 case 3). La colonnade qui l'entoure supporte le toit recouvrant de larges allées dallées menant aux boutiques.
La décoration générale de l'endroit est soignée. On note par ci par là, quelques délicates sculptures corinthiennes, des guirlandes florales de pierre et quelques motifs chimériques, et selon la tradition, sur une des pierres de l'édifice, une dédicace à Mercure, le dieu du commerce. Les boutiques des marchands se trouvent tout autour de la cour : ce sont des renfoncements en forme de loges dans le mur d'enceinte. Une table de pierre en barre l'unique ouverture et sert de comptoir au commerçant qui y étale sa marchandise. C'est en passant par dessus ou par dessous cette table de pierre qu'il sort de son échoppe ou y pénétre. Les tranches et les supports de ces élégantes dessertes sont ornés de bas-reliefs décoratifs. Les poids, ainsi que les volumes et mesures utilisés par les marchands, sont contrôlés par des préposés municipaux sur un comptoir nommé « ponderarium ». Ce comptoir de pierre présente des évidements servant de référence pour les volumes de grains, et leurs équivalences pour le vin et l'huile. Cette huile que la province produit en grande quantité, assure la fortune des raffineries de Madaure située à quelques kilomètres au nord. Timgad possède aussi quelques huileries plus modestes. L'huile de Numidie qui garde une saveur un peu forte pour la cuisine et la table, est également utilisée pour le bain, la toilette et l'éclairage.
On ne trouve pas exactement sur ce marché, les mêmes produits qu'offriront nos marchés du midi. Les pommes de terre et les tomates sont, bien sûr, inconnues et, à l'exception de quelques denrées fraîches provenant des potagers des environs, ce sont surtout légumes et fruits secs qui garnissent les étals. On peut néanmoins s'approvisionner en viandes crues ou séchées et en poissons salés. Il y a aussi, en appréciable quantité du gibier et des fromages de chèvres.
Ce bâtiment municipal est, comme en bon nombre d'autres villes, offert à la cité par un riche habitant qui immortalise sa donation en gravant son nom dans une des pierres de l'édifice. Ainsi Timgad a t-elle son marché de Sertius comme Djemila a le sien de Cosinius. (Les bornes routières sont de la même manière, offertes par des particuliers à l'Etat).
La ville possède aussi un marché aux vêtements dans le faubourg ouest (fig. 2 case 16).
Les boutiques de la rue connaissent de leur côté, une activité florissante. La plupart, groupées près du Forum, s'ouvrent sur la voie décumane. Le centre est commercial comme à Tunis ou à Fès : les propriétaires des boutiques se retirent chez eux le soir venu.
Lorsque pointe le jour, taverniers et marchands démontent les vantaux de bois de leur devanture et les disposent sur deux tréteaux pour y étaler leur marchandise.
Quelques élégantes citadines choisissent dans la boutique du drapier un tissu de laine, ou de lin, ou une soierie d'Orient. Les romaines prennent soin de leur coiffure et le barbier les frise, les boucle, arrache les cheveux blancs et place des perruques. Il fait aussi fonction de chirurgien, de médecin ou de dentiste. Pour guérir les plaies il pose des emplâtres dont une fameuse préparation à base de graisse de cygne, mis à l'engrais, paupières cousues, avant d'être abattu.
L'apothicaire vend des plantes servant à préparer des potions ; il en existe plus de cinq cents espèces. Il en mélange certaines avec du venin de vipère à cornes, nombreuses dans la région, ou du foie de cerf bouilli de la forêt maurétanienne. Potiers, chaudronniers, menuisiers emplissent la rue du bruit de leurs métiers.
Un quartier d'industries plus « lourdes » existe au sud-ouest de la ville (fig. 2 case 15) avec une fonderie, des ateliers de céramique et d'autres fabriques, mais la voie décumane reste le centre du petit commerce.
On peut confier au cordonnier la réparation de sa semelle et lui acheter une paire de sandales neuves dont la découpe et l'ingénieuse disposition des lanières en font une chaussure confortable
.On s'arrête, en passant, au comptoir du tavernier pour y déguster vinasse ou friquette, apéritif à l'anis ou au cumin, en jouant aux dés.
Le boulanger vend un gros pain plébéien bourré de son. La poussière pierreuse qu'il contient craque parfois sous la dent car certaines meules se délitent et cet effritement se mélange aux farines. Le boulanger propose aussi un pain plus raffiné, voire un choix de pâtisserie : « crustula » et « lucula » sont des beignets croustillants ; les « globuli » sont rissolés et enduits de miel ; les « perlucidae » sont des crêpes fines et transparentes. Peut-être, y vend-on aussi quelques friandises ? Rome connait le « miel de datte » surtout apprécié pour le fait qu'il est cinq fois moins cher que le miel véritable, ainsi que les dattes fourrées aux noix, poivrées, salées et cuites dans le miel. On peut donc raisonnablement imaginer que la confiserie locale est la première à utiliser les ressources des palmeraies les plus proches vers lesquelles s'aventurent périodiquement quelques marchands. Les gargotes ou « popinae » tavernes plébéiennes dont les comptoirs donnent sur la rue ne manquent pas. On y sert, sur le pouce, une assiette de fèves bouillies, de lentilles ou de pois chiches dont la saveur est considérablement relevée par l'interminable liste des épices et condiments de la gastronomie romaine dont le pyrèthre qui pousse en Afrique tient peut-être ici, une place prépondérante.
Ces plats sont arrosés de vins relevés contenus dans des amphores : ils sont grecs ou italiens car le vignoble africain est, en ces temps, des plus médiocres.
Les plats du commerce ainsi que ceux des tables familiales sont certainement aussi abondants que variés : la Numidie n'est-elle pas de toutes les provinces de l'Empire celle où l'on est « le plus assuré de manger à sa faim ? » Les sols neufs bien phosphatés donnent de belles récoltes et l'élevage des Hauts Plateaux est réputé.
On peut également supposer que certains gourmets de la ville, en quête de mets originaux ne dédaignent pas rôtis de cigogne et cuissots d'autruche, certes diversement appréciés mais auxquels il est, comme à Rome, de bon ton d'avoir goûté, d'autant plus que les unes ont dans une région proche leurs passages migratoires et que les autres proviennent de la frontière lybienne relativement peu éloignée. Ces viandes au fumet douteux sont de toutes façons arrosées de « garum » qui n'a rien à envier aux actuels assortiments vietnamiens les plus agressifs et que la maurétanienne Tipasa fabrique au même titre que d'autres villes de l'Empire. (Ce produit provient de la décomposition d'un vulgaire fretin ayant macéré dans un mélange de certaines herbes et de piments).
Quelques taverniers proposent, pour agrémenter la fin du repas, quelques pièces obscures à l'étage et propices à une sieste réparatrice.
Le forum se trouve à deux pas des boutiques. Y flâner quelques instants est une tentation à laquelle résiste rarement l'habitant de la cité (fig. 2 case 5). Il forme au centre de la ville un grand quadrilatère de 50 mètres de côté ; chacun regarde un des quatre points cardinaux. Son entrée principale donne sur le « décumanus maximus ». Cette place publique est piétonnière, légèrement surélevée par rapport aux rues y conduisant, les voitures n'y accèdent pas. Elle est entourée d'une belle colonnade et de portiques. La galerie périphérique qui en fait le tour abrite les statues et effigies de quelques divinités, d'empereurs ou de personnages importants et de bienfaiteurs locaux. De ces statues dont certaines sont équestres, il ne reste que les socles épigraphiques. Cette esplanade est recouverte d'un magnifique dallage. Quelques dalles gardent la trace des jeux auxquels se livrent les passants au ras du sol : marelles ou concours de billes.
Le Forum est le centre urbain vital, un lieu de rencontre pour négociants et soldats, oisifs et badauds qui viennent aux nouvelles et y croisent de belles citadines et patriciennes ostensiblement vêtues et coiffées à la mode de Rome. Les dépêches et le souffle de la capitale y parviennent via Carthage qui les reçoit par la Sicile et |a mer. La poste impériale qui roule jour et nuit fait une centaine de milles par jour, mais il existe aussi une poste Privée un peu plus lente. On mettait 8 à 9 jours pour couvrir la distance séparant Rome de Brindisi et à peu près le même temps pour aller de Carthage à Cherchell (Caesarea). Le trajet Carthage-Timgad devait prendre quatre ou cinq jours.
De grands bâtiments municipaux bordent le forum où se déroule l'ensemble de l'activité politique, administrative, voire religieuse de la cité. D'une tribune surélevée des orateurs haranguent le peuple, interrompant la flânerie des uns, satisfaisant la curiosité des autres. Les joutes électorales qui régulièrement s'y déroulent y créent des turbulences.
La curie s'ouvre sur le côté ouest du forum (fig. 2 case 6). C'est une grande salle majestueuse ornée de marbre. On peut y assister aux séances du conseil municipal car c'est le siège du Sénat de la ville. Lorsque la pluie se met à tomber, les badauds de l'esplanade peuvent se réfugier dans la basilique civile qui est une annexe couverte du forum qu'elle limite sur sa face est (fig. 2 case 7). Elle offre un espace de quarante mètres de long sur quinze de large, plein des rumeurs des marchands et des banquiers, car c'est là que se tiennent la Bourse et les services de la Chambre de commerce locale. On y rend aussi la justice. Indépendamment des palabres du forum, où chacun peut prendre sa part civique des activités fondamentales de la cité, il est de bon ton de manifester, sinon d'afficher, sa dévotion à la religion officielle.
L'habitant de Timgad gagne alors le Capitole qui est un temple monumental et l'édifice le plus important de la cité malgré sa position excentrée sur la bordure sud-ouest de sa périphérie (fig. 2 case 8). Lieu de la religion traditionnelle impériale, il en est, avant l'empreinte chrétienne, le temple principal. Il est voué au culte de Jupiter, Junon et Minerve. Il mesure quatre vingt mètres de côté. Au pied de sa façade, s'étend une cour importante dans laquelle on célèbre des sacrifices au son des cors, instruments réservés aux pratiques religieuses (ainsi qu'aux musiques militaires).
Le temple s'élève sur la « cella » qui est une masse gigantesque de pierres. La façade est composée d'un portique aux nombreuses colonnes. Par les trente huit marches d'un monumental escalier on parvient au sanctuaire. Cette salle décorée de marbre renferme les images des trois divinités auxquelles le temple est consacré, elle est entourée d'une imposante colonnade de douze à quatorze mètres de haut.
Au temps de la présence française, le cliché photographique souvenir du pique-nique au pied de ses colonnes était traditionnel pour les familles de la région.
Timgad possède aussi d'autres temples (fig. 2 cases 13) dont un, au Génie s'ouvrant sur le forum. Les autres sont répartis dans la ville, voués à Cérès ou à Mercure.
Parmi les loisirs offerts aux habitants de la cité, la fréquentation des thermes, tient ici, comme dans tout le monde romain, une grande place. On s'y rend volontiers pour s'y détendre, se distraire et retrouver des amis car, c'est pour le romain, l'équivalent du café, du cercle, du club de sport.
La ville compte quatorze établissements de bains publics (fig. 2 cases 9) dont l'accès n'est pas cher et souvent même gratuit. Tous ne sont pas mixtes. Construits par l'Etat ou la ville, ils sont entretenus avec soin. Leurs installations bénéficient d'une alimentation en eau propre et d'une évacuation efficace des eaux usées. Rappelons à ce propos l'importance des travaux romains de récupération et de distribution de l'eau en Afrique du Nord : les réservoirs de Tiddis, l'aqueduc de Cherchell, pour n'en citer que deux, sont célèbres et bon nombre d'autres sont encore de nos jours utilisés telles la piscine de Khemissa ou l'alimentation urbaine de Annaba (Bône). Ces travaux dépassent de très loin tout ce que les Arabes feront sur ce plan par la suite. On peut même dire qu'ils restent supérieurs, compte tenu des moyens engagés à ce que les Français eux-mêmes réaliseront. Observons néanmoins, à la décharge de ces derniers qu'ils ne resteront que 132 ans en Algérie, c'est-à-dire trois fois moins que les Romains.
Parmi tous les établissements de bains de Timgad, les « grands thermes du sud » sont vastes et des mieux aménagés : ils offrent des salles distinctes pour le sport, le bain, la gymnastique et les massages. C'est un lieu de bavardage : on y commente les vraies nouvelles et il est probable qu'on y colporte une grande partie des fausses. Dès son arrivée, le visiteur dépose ses vêtements dans les niches murales et individuelles de l'« apoditherium » qui est un vestiaire aménagé et surveillé. Il passe ensuite sur la palestre : c'est un terrain de jeux et de sports découvert pour la belle saison. Lorsque le temps n'est pas favorable, cette activité physique peut s'exercer en salle.
Ces exercices consistent en lancers et échanges de balles remplies de sable, de ballons de plume ou de vessies remplies d'air. On durcit ses poings sur des sacs suspendus bourrés de farine. On court après des cerceaux ; on s'épuise sur des poids et haltères. On lutte, le corps enduit d'une graisse dans laquelle on a incorporé de la poussière pour assurer la prise. Après avoir ainsi échauffé ses muscles, on va suivre un programme précis de bains dans une succession de salles conditionnées.
Cela commence par un petit repos au « sudatorium » salle de sudation dont les parois de tuiles creuses répandent à profusion, la chaleur sèche provenant de l'ardent foyer de charbon de bois de l'« hypocauste » du sous-sol. La circulation de l'air chaud dans les doubles parois des murs et planchers de ces salles est en tous points comparable au fonctionnement et résultats de notre moderne chauffage central. L'architecture des thermes repose sur le fait que l'air chaud a tendance à s'élever ce qui impose le niveau des salles chaudes. Dans l'« elaotherium » voisin, on peut se livrer aux mains expertes du masseur et s'y faire frictionner ou racler la peau avec un « strigile ». On plonge ensuite dans la baignoire d'eau très chaude du « caldarium » où l'on bavarde quelques instants avec les autres. La salle voisine du « tepidarium » est dans le temps suivant appréciée pour sa température de transition avant l'épreuve du « frigidarium » dont les piscines d'eau froide extérieures ou intérieures permettent de plonger selon la saison.
Dans toutes les installations, un élémentaire souci de l'hygiène est manifeste : on ne se libère pas n'importe où d'un besoin pressant. Les avertissements placardés sur les lieux publics sont d'ailleurs formels. Peut-être y lit-on, comme à Pompei, l'injonction suivante ? : « Puissent les douze dieux et Diane, et Jupiter très Grand et très bon, poursuivre de leur courroux celui qui aura uriné ou déféqué en cet endroit ! » Peut-être a t-on déposé dans un coin du terrain de sport comme le font certaines municipalités italiennes aux angles des rues principales, quelques tonneaux et amphores ébréchées, destinés à recueillir l'urine des passants ? Cette urine est souvent récupérée par les foulons pour les besoins de leur industrie, en telle quantité d'ailleurs que la colonie y trouve la source d'une taxe supplémentaire... Timgad compte quelques teintureries dont les grandes cuves remplies d'eau et d'urine servent au dégraissage.
Quoiqu'il en soit, des latrines publiques existent près du forum (fig. 2 case 10) et le plan des thermes du sud de la ville révèle l'existence de ces lieux d'aisance près des vestiaires. Salle hémisphérique, ces latrines sont chauffées en hiver.
Elles deviennent comme la boutique du barbier, un centre de bavardage, sinon un élégant lieu de rendez-vous. On y trouve quelques sièges disposés en demi-cercle, séparés les uns des autres par des accoudoirs probablement en forme de dauphins comme ceux de Pompei. Sous les sièges, un courant d'eau évacuateur s'écoule par une rigole dans un égout périphérique. Par une édentation, devant le trou, on passe sous soi, fixée au bout d'un manche, une éponge douce d'Afrique ou de Grèce, que l'on rince ensuite dans la rigole d'eau courante sous ses pieds.
L'hémicycle souvent revêtu de marbre blanc est luxueux. Peut-être comportait-il, lui aussi, une galerie d'art ornée de bustes ?
Une vasque avec jet d'eau, sert de lavabo. L'eau court dans Timgad bien pourvu en fontaines publiques. Les sources proches ne manquent pas, telle cette « Aqua Septimiana Félix » qui avait, peut-être, des vertus curatives.
Outre ses thermes confortables Timgad offre à ses habitants les distractions de son théâtre. La ville certes, ne possède pas de grand amphithéâtre elliptique, ovale et complètement fermé où l'on donne des combats de fauves et de gladiateurs comme El-Djem en Tunisie, Caesarea (Cherchell) ou peut-être Tipasa en Maurétanie (l'actuelle Algérie). Elle n'a qu'un théâtre semi-elliptique édifié sous Marc-Aurèle entre 161 et 169. Situé en pleine ville, son flanc droit borde le forum au sud (fig. 2 case 11). Il est construit « à la grecque » ce qui veut dire que l'architecte a utilisé un terrain en cuvette pour faciliter son édification et y asseoir ses gradins.
L'enceinte réservée aux spectateurs (« cavea ») est en demi-cercle. Ceux-ci regagnent leur place numérotée en empruntant les escaliers qui coupent les gradins (« gradus ») dans le sens de la hauteur. Tout en haut, se trouve une galerie (« summa cavea ») où quelques spectateurs peuvent circuler en assistant à la représentation. De nombreuses portes (« vomitoriae ») assurent l'évacuation du public à la fin du spectacle. On peut, à l'avance, louer et réserver sa place large de quarante de nos centimètres mais la foule n'est pas toujours disciplinée et certains resquilleurs débordent peut-être comme ils le font aileurs, le service d'ordre. Il faut alors palabrer pour la récupérer ou s'imposer physiquement à moins qu'un esclave musclé, à votre service, ne le fasse pour vous. Au pied des gradins, deux ou trois paliers sont réservés aux notabilités de la ville pour lesquelles on apporte des sièges plus confortables que les pierres des travées. Devant eux est ménagé l'espace de l'orchestre. Ce théâtre peut accueillir trois à quatre mille spectateurs : ce qui est relativement important pour la ville qui ne compte que quinze à vingt mille âmes et laisse supposer que la population des environs accoure les jours de spectacle.
Notons que les dimensions de ce théâtre, n'atteignent que la moitié de celles du théâtre Marcellus de Rome. L'orchestre est séparé de la scène par un petit mur de marbre avec des saillants et des rentrants pour neutraliser les échos et assurer une acoustique de qualité ; le sol de la scène est en bois : les piliers de pierre qui servaient de supports à la charpente du plancher sont de nos jours encore bien visibles. Le mur du fond de scène (« scena ») est un somptueux décor permanent avec des portes et des niches, des statues et des fontaines. Ce décor fixe est parfois amélioré suivant les besoins du spectacle par des panneaux mobiles actionnés par une machinerie. Derrière la scène (« post scena ») sont situées les coulisses, les magasins d'accessoires et les loges des artistes. De grands piliers de bois érigés à la périphérie supérieure de la scène et des gradins permettent de recouvrir suivant le temps, l'ensemble du théâtre d'un immense « velum » de lin fin dont l'installation, l'entretien et la manœuvre sont habituellement confiés à une confrérie d'anciens marins.
On peut imaginer qu'à l'entracte, on asperge le public de parfum, à Timgad comme en d'autres cités, et que l'annonce en est faite au guichet de location conformément à ce que l'on a pu déchiffrer ailleurs.
Les programmes sont adaptés aux goûts et aux exigences du public de la ville en grande partie formé de légionnaires vétérans démobilisés et d'indigènes romanisés.
Cette population est le fruit du principe colonisateur romain du moment : fixer, après 20 ou 25 ans passés dans l'armée, le légionnaire démobilisé sur place pour consolider la conquête. Libéré, il reçoit un pécule accompagné d'un bout de terre et devient un colon qui épouse le plus souvent une berbère. Ces foyers deviennent le ferment d'une population nouvelle, ardente et pleine de qualités mais encore un peu frustre. Aussi, les drames psychologiques d'Euripide, d'Eschyle ou de Sophocle non plus que les comédies satiriques d'Aristophane ne remplissent l'enceinte. La population de la ville et des djebels environnants qui accourt les jours de spectacle préfèrent le théâtre burlesque de Plaute et plus encore certaines des farces triviales de Térence le carthaginois, déjà célèbre en son pays.
L'élite intellectuelle et raffinée de la cité apprécie les récitals de danse et de musique qu'on y donne de temps à autre au son de l'orgue et de la cithare, mais le gros public préfère les mimes, danseurs et acrobates qui se produisent aux sons des crécelles, pipeaux et tambourins.
La nuit, comme tous les bâtiments publics, le théâtre devient un abri pour les vagabonds et les sans logis et la police les y tolère. Le théâtre de Timgad sera détérioré par les Byzantins qui utiliseront les grosses pierres de ses gradins pour fortifier rapidement et à peu de frais les faubourgs à une époque menacée par les Berbères de l'Aurès. Habilement restaurés par les services français des Beaux-Arts, seuls sont, de nos jours, authentiquement romains les trois premiers rangs des gradins.
Les lettrés de Timgad peuvent assouvir leur soif de lecture en se rendant à la bibliothèque publique qui en est l'unique exemple africain. C'est un nommé Rogatius qui en fait don à la ville, il lui en coûte quatre cent mille sesterces. Elle comporte une cour entourée de quelques marches circulaires périphériques sur lesquelles s'asseyent les lecteurs. Cet espace est enfermé dans un hémicycle aux gracieuses colonnes corinthiennes abritant des niches bourrées de documents : il s'agit des « nids », compartiments losangiques ou hexagonaux où se calent les « volumes ». Existent aussi, probablement, quelques étagères supportant des « tomes » et des tablettes qui sont des coffrets d'ivoire ou de bois, plats et dont les deux volets présentent des faces internes à fond noir sur lequel est étalée une pellicule de cire blanche — on y grave avec un poinçon ses notes de lecture — l'autre extrémité du poinçon, aplatie, sert à effacer l'écrit en étalant la cire.
La longue liste des ouvrages disponibles est affichée à l'entrée. Existe peut-être, en annexe, un atelier où, sous la dictée, des scribes multiplient les ouvrages à la mode. Ils écrivent sur papyrus d'Egypte ou sur « pergamin », fine peau de brebis traitée à Pergame. Une petite quantité d'absinthe est mélangée à l'encre pour décourager les souris qui n'en peuvent supporter l'odeur et, une fois relié ou enroulé, l'ouvrage est imprégné d'huile spéciale pour repousser les vers. La langue officielle est le latin, mais existent aussi des auteurs berbères. Les ouvrages détériorés sont, semble t-il, recyclés en « palimpsestes » pour de nouvelles rééditions à prix modéré ou simplement cédés aux marchands de poissons ou d'épices pour leurs emballages. Il parait que certaines feuilles étaient plus ou moins restaurées, après avoir été effacées, pour servir de brouillons dans les écoles.
Ceux d'entre nous qui gardent en mémoire le murmure continu emplissant la ruelle où donnait l'école coranique de leur village peuvent évoquer celui de l'école romaine du Timgad de l'époque. Sous la direction du maître on y répète et récite, sans désemparer, de l'aube à midi, les vingt quatre lettres latines de A à X : c'est la classe des « abecedarii ». Ce degré franchi, les écoliers passent dans la classe des « syllabarii » pour y organiser en syllables de fantaisie puis en syllabes usuelles les acquisitions du cours précédent. C'est dans la classe des « nominarii » qu'ils apprennent enfin à écrire des mots et construire des phrases.
Au delà de cette pédagogie élémentaire, on peut difficilement imaginer que Timgad ait offert la possiblité d'études supérieures que seules les très grandes villes de l'Empire peuvent alors proposer aux sujets les plus brillants qui constituent, en ces temps, une infime minorité de la population. Ces quelques notes de lecture sur la Timgad préchrétienne ici réunies en un article qui reste bien succinct, nous inspire néanmoins l'idée que dans un cadre apparemment austère, Timgad fut en fait une ville sereine où les joies du corps et de l'esprit ont certainement pu trouver leur épanouissement jusqu'à la fin de l'époque romaine.
Une inscription déchiffrée sur le Forum : « venari, lavari, ludere, ridere, hoc est vivere » ne dit-elle pas : « chasser, prendre des bains, jouer, rire : ça c'est la vie ! » Après la désagrégation de l'Empire, Timgad est occupée et en partie saccagée par les Vandales et les Maures puis reconstruite par les Byzantins.
Son histoire ne fut donc pas exempte de turbulences.Elle fut par ailleurs chrétienne, donatiste, et eut son évêque.
Ses pierres oubliées sont au cours des siècles ensevelies par les poussières du temps et celles du désert.
Pas un seul historien, pas un seul géographe arabe n'en fait mention ! Ainsi Timgad eut-elle son commencement, son zénith et sa fin. L'image de quelques nomades, venant de temps à autre se reposer avec leurs bêtes à l'ombre de ce qui reste de ses colonnes, frappe l'attention des chroniqueurs contemporains.
C'est un anglais, Bruce, qui la « découvre » en 1765 et en fait un croquis. On n'en voit alors que le sommet de l'arc de Trajan, les colonnes du Capitole, les éléments supérieurs du théâtre et quelques pierres éparses. Les services français des Beaux Arts y entreprennent des fouilles méthodiques dès 1880.
C'est aujourd'hui un émouvant testament de pierres, dans une nature pétrifiée.